
En marche vers Son Koul
15-21/08/2019 (Jours 3 à 9)
Avant de s’embarquer sur les routes kirghizes, je remarque dans la bibliothèque de l’auberge un livre de Gaston Rébuffat « La montagne est mon domaine ». Agréablement surpris par cette découverte, je l’emporte avec moi le temps du voyage.
La première rencontre avec ces étendues saisit le cœur, je les regarde défiler derrière la vitre du véhicule. A vrai dire, voilà quelques jours que je ne tiens plus en place, je me sens enfermé et ces vastes paysages invitant à la liberté me presse à débuter la marche.
​
Une unique route permet de passer du Nord au Sud du pays et cette dernière passe au sommet du col Tyu-Ashuu à 3600 m. Le tunnel « Khusein Kolbaev » qui permet la traversée est tout bonnement effrayant…
2500 m sans éclairage, sans issue de secours, sans ventilation, sans pouvoir croiser avec les véhicules d’en face, avec de la suie sur les parois témoignant d’un grave accident passé… Hâte de sortir de ce tube de l’horreur !
Petit aperçu aujourd’hui des 4 saisons kirghizes qui annoncent la couleur des journées de marche : il faudra apprendre à s’habiller et à se déshabiller rapidement !
On arrive enfin sur le lieu de notre campement pour cette première nuit sous tente, au cœur du canyon de Kekemeren.
Je m’isole le long de la rive de ce torrent célestine tandis que la lumière du jour qui décline offre de nouveaux reliefs aux montagnes qui nous entourent ainsi qu’une texture palpable.
Je m’endors sur le livre de Gaston Rébuffat qui écrivait :
« De nos jours, dans les villes, peu de chose subsiste ; la nuit n’existe plus, ni le froid, ni le vent, ni les étoiles. Tout est neutralisé. »
A se demander d’ailleurs si cela ne fait pas ricochet sur certains sentiments et valeurs qui tendent eux aussi à disparaître avec le reste…
​


Sur la route vers la vallée de Jumgal, les paysages se succèdent : tantôt la douce steppe à perte de vue, tantôt des reliefs ciselés par l’érosion de rouge, de vert de gris et d’orange. Lors d’un temps les nuances captent mon regard et mes pensées. Le vide se fait enfin.
Courte marche vers Sary Koul qui permet de dérouler les jambes. Premières véritables rencontres avec des Kirghizes n’hésitant pas à sortir de leur abri de fortune pour nous offrir du pain et du lait fermenté (le fameux koumiss, spécialité locale)… Il paraît que c’est impoli de refuser mais bon…
Au détour d’un virage émerge de nulle part le lac Sary Koul. Il est étonnant d’observer des reliefs aussi doux à de telles altitudes… La même teinte de partout. Bien que ce soit des paysages uniques, je sens d’ores et déjà qu’ils ne seront pas de ceux qui me marquent : trop de lassitude s’en dégage.
Il est temps de monter la tente.
Le soir, comme chaque soir, la vodka est de rigueur et gare à celui qui refuserait… me forçant à feinter comme je peux la chose…

Première journée sans transport…
La veille je me suis légèrement fait tacler par certains du groupe sur le fait que je marchais trop vite, ainsi pour la cohésion j’essaie de faire un effort et de rester en arrière… Je suis ailleurs, je n’arrive pas à vivre cet instant présent et le fait de rester à niveau du groupe ne m’aide pas… Alors, je reprends mon allure de marche habituelle, peu à peu je me recentre sur moi-même, sur ce qui m’entoure. Pendant un temps je file, je suis dans ma bulle, je me sens bien. Steppes à l’infini, de temps à autre des yourtes en signe de ponctuation marquent l’horizon.
Une allure de marche ce n’est pas juste une question de vitesse et d’essoufflement : on marche comme on vit. C’est une question de tempo qu’on s’impose ou non. La bonne allure est celle qui te maintient dans le présent : ni celle qui - trop lente - te retient dans le passé ni celle qui - trop précipitée - te hâte dans le futur.
La complexité du ciel contraste avec la simplicité des terres, les nuages bougent sans cesse… Délivrant les quatre saisons en l’espace de quelques heures.
​
​Petite pause pour le déjeuner, en surplomb de cette vallée zigzagante, je fixe avec désarroi mon sandwich. « Bon… Comment manger ce truc… », sans le savoir voilà que je commençais une diète qui durera pratiquement tout le séjour ! Après une « saucisse-pétanque » et un premier fou-rire, je presse la marche : le ciel noircit et je veux être certain d’avoir le temps de monter les tentes, nos abris, avant que la tempête ne s’abatte.



Encaissé dans la vallée je longe la rivière, je ne sais combien de temps, je ne sais à quelle allure, ce paysage est déroutant… j’ai l’impression de ne pas avancer, de piétiner alors que je file à grandes enjambées… ces reliefs lointains semblent s’éloigner au fur et à mesure que je m’en approche… à l’image de la vie.
Le vent se lève, j’arrive à temps pour monter les premières tentes avant que la grêle nous tombe dessus. Un coup de chevrotine ne ferait davantage mal… Et dire qu’on a mangé au soleil, dans une chaleur ambiante, avec l’horizon dégagé à des dizaines et des dizaines de kilomètres. Et puis, en un instant, me voilà saisit par le froid, détrempé, la peau mitraillée, ne voyant à deux mètres. Comme les choses tournent parfois.
Après une énième remarque sur mon rythme de marche, je file sous la tente, m’enfermer dans ma bulle de toile, hors connexion, seul face à mes pensées.
La nuit tombe.
Nouvelle journée, nouveaux horizons, enfin un binôme de marche à qui mon allure arrange, on part ensemble, devant, dans la même direction.
Au détour d’une courbe, elles sont là, ces yourtes perdues dans l’immensité. Vivre ainsi au milieu de nulle part semble inimaginable.
Je profite de ces instants, entre hier et demain, je sais qu’ils ne dureront pas. Ce voyage constitue une véritable pause dans ma vie : une coupure entre ma courte vie marseillaise, avec les promesses associées et désormais brisées, et mon retour en région parisienne, avec tous les changements et les doutes associés.
Peu à peu le sentier se redresse, tantôt chaud, tantôt froid, j’en ai marre de me déshabiller et de me rhabiller… Et le rythme saccadé du groupe ne m’aide guère. Allez, arrête de râler Clément…
J’espérais découvrir un paysage tout autre en arrivant à ce col Kom Bel flirtant avec les 3700. Mais non. Toujours le même paysage… Je me blottis à l’abri du vent dans le creux d’un rocher en attendant le groupe.
Je songe à ce voyage imprévu, marcher ainsi à travers les plaines sans sentier, tenter un pas ici et là, suivre une direction au hasard, sans se poser de question. C’est agréable parfois.
Au loin les chevaux, les pattes liées pour les rebelles, écument les plaines.
Le vent se calme, une quiétude rare et singulière drape alors les environs.
Je remarque un chien là-bas, allongé, les yeux fixant l’horizon. Il semble, comme moi, apaisé par ce qu’il voit.
Le groupe réunit on déjeune. Grelottant sans raison je n’ai qu’une envie c’est de descendre vite. Je demande au guide quelle direction prendre pour trouver le campement : « suis la rivière » « toujours ? » « oui toujours tu tomberas sur le campement ». Alors j’y vais, une liberté nouvelle m’envahit, je file avec le vent. J’évacue ces restes de rancœur, et accélère le pas, encore et encore, je me purge d’une certaine manière. Que restera-t-il à la fin ? Quels désirs et souhaits perdureront ou apparaîtront ?
Si je ne peux pas encore répondre à ces questions, une chose me semble de plus en plus évidente : je suis perdu. C’est illogique cette direction, pourtant il m’a bien dit de suivre la rivière… Je vérifie l’altimètre, ça ne colle pas, je regarde le soleil je semble filer vers le Nord Est alors que le campement devrait être à l’Ouest. Soudainement je redescends sur terre, tu remettras à plus tard ton introspection : il faut que tu trouves une solution.
Soit je continue à longer la rivière et finirais obligatoirement à traverser un village ou à croiser des yourtes.
Soit j’essai de retrouver la bonne direction.
Je croise un nomade, lui demande « Koul koul koul » (j’avais supposé que ça signifiait Lac) en pointant le bras de droite et de gauche en espérant qu’il me comprenne… Il finit par me pointer l’horizon… à l’Ouest… ça colle… Je tente de prendre de la hauteur pour vérifier et étudier un peu le terrain. Je remarque alors un village à une bonne quinzaine de kilomètres, au moins le plan B est assuré me dis-je.
Je poursuis en quête de nouveaux indices, la rencontre avec un enfant sur un âne (à qui je montre la photo d’un lac sur mon appareil photo) me conforte dans la direction prise. Après un petit temps je remarque des tâches colorées dans un relief voisin, un groupe de voyageurs, je siffle et entame une course légère vers eux en espérant qu’ils me remarquent… Le souffle coupé je vins enfin à leur rencontre, leur guide m’emmène au campement où je panserai quelques plaies aux pieds en attendant ceux de mon groupe.
Mon guide qui en me voyant me dit, énervé, « il fallait suivre la rivière mais à un moment donné il fallait tourner » « tu ne me l’avais pas dit ça » « non je pensais que tu te serais arrêté avant ».
Super.
Le repas se fera en silence, les tensions se cristallisent, je m’enfuis sous la tente.
Cette journée marquera une rupture, à différents niveaux, mais pour celui qui m’intéresse ça sera d’un point de vue sentimental : je me sens purgé et vidé.
Qu’importe ce qu’il adviendra demain, je suis délivré d’hier.


On traverse le village que j’avais aperçu la veille et demeure intriguer par l’apparence de leurs cimetières qui semblent être faits en terres. Les plus anciens sont marqués par les pluies diluviennes passées qui ont façonné à leur manière ces tombeaux.
Démarrage de la rando sous un beau soleil, quelques cimes enneigées nous entourent tandis qu’on se faufile dans la vallée, le long d’une rivière… Quelques yourtes, témoins de ces mêmes moments de vie, surgissent de ci de là.
Peu à peu le vent se lève, encore une fois le ciel s’obscurcit… Quand survient une tempête de grêle qui n’est pas des plus agréables, il faut bien l’admettre…
Les lieux semblent continuer la même symphonie atmosphérique initiée il y a quelques jours... C’est magnifique… Ces volutes d’air offrent une désolation heureuse, des horizons évanescents subliment toutes ces nuances de gris… Ici c’est le monde minéral et les brumes les véritables seigneurs.
Les cyclistes qui nous avaient dépassés tantôt se laissent rattrapés… Ils participent à une course de près de 2 semaines à travers le pays… J’admire leur persévérance.
Au col, à près de 3800, on aperçoit au loin Son Koul, c’est sur ses rives que nous demeurerons demain.
On entame la longue descente après un déjeuner venteux, encore une fois…
Au-delà des paysages, ce que je retiendrai de cette journée ce sont les échanges avec mon binôme de marche… D’abord des suggestions tant cinématographiques, photographiques, que littéraires et que je m’empresse à noter ou à retenir dans un coin de ma tête tant ma curiosité est grande… Mais aussi et surtout cette discussion, quelque peu personnelle, sur de singuliers moments de la vie. Il est vrai que je suis bavard, mais j’aime aussi écouter ces tranches de vie d’autrui, c’est si enrichissant.
Enfin arrivés sur les rives du lac… Le ciel semble de nouveau instable et les sommets ne sont jamais bien longtemps découverts. Le ciel noircit devant et derrière nous tandis que le bleu perdure au-dessus de notre tête… Mais jusqu’à quand ? La terre est occultée par le ciel qui attire sans cesse l’œil du fait de sa composition et sa force brute : les éléments se délient et se défient dans cette arène céleste.
Il y a comme une impression de seul au monde ici. Le lac tient évidemment ses promesses, quelques cavaliers passent, la lumière est belle… C’est apaisant.
La nuit se passera sous yourte, après un long débat sur la présence ou non de punaises de lit dans cette région du monde, puis une longue discussion pour savoir dans quelle yourte chacun dort… Me voilà allongé dans un lit sans avoir eu à monter une tente, à gonfler le matelas etc… Ca fait du bien un peu de répit dans ces gestes répétitifs.
Après un fou rire d’anthologie qui en surprendra plus d’un, ne comprenant ce qui se passe, je ferme les yeux et rejoins Morphée.
Demain sera un autre jour…



Réveil matinal et discret, je me faufile en dehors de la tente tandis que les autres dorment encore… La veille j’ai repéré quelques cimes qui m’intéressent : j’aimerais voir ce qu’il y a derrière !
Alors je m’élance à 7 h avec pour seule condition fixée par le guide de revenir pour 13 h ou du moins au plus tard avant 14 h. Pas de problème ! De toute manière les précédentes journées nous ont montrés que le beau temps était une affaire matinale et que le temps de midi était le moment à partir duquel les quatre saisons commençaient à s’affronter !
Je marche et je marche… j’ai l’impression d’être sur un green de golf… Les cimes sont bien plus loin que je ne l’imaginais… Ce paysage est si traître, les distances sont si trompeuses… Au fil des pas je réajuste mon itinéraire…
C’est troublant, je ne sais que penser de ces lieux, c’est beau c’est incontestable, ça m’apaise aussi il est vrai, mais ça ne me séduit pas, tantôt j’apprécie tantôt je déprécie. Alors, ne parvenant à rester émerveiller, je fais des allers-retours entre mes pensées (occultant à ce moment là tout ce qui peut m’entourer) et la nature environnante (éclipsant alors toutes pensées volages).

Le cœur empli de joie au sommet, le monde exulte autour de moi tandis que je retrouve peu à peu mon souffle. Je songe aux croyances et aux philosophies des hommes, là-haut elles semblent si claires, si simples. C’est ce genre de vision que l’on souhaite graver pour toujours.
Ce balcon minéral, passé les 4000, me dévoile ce que je souhaitais et ce que j’imaginais la veille : une barre montagneuse sévère contrastant avec la lassitude des steppes, voilà le genre de paysages que j’aime ! Glaciers et neiges me font de l’œil… Je m’assois et savoure.
A la descente, une légère brise relève ces brins d’herbes autrefois recourbés comme des vieillards. De la vallée s’élève le son caverneux du vent se faufilant parmi les reliefs, tandis que le sommet que je viens de quitter salue l’horizon en fuite.
Je croise un berger, chevauchant la steppe, et son troupeau de plusieurs centaines de moutons qui, en quelques secondes, à l’appel d’un cri ou d’un aboiement, dévale à toute vitesse le pierrier… Je suis aussitôt entouré et prie pour qu’aucun ne me rentre dedans par maladresse… Mourir piétiné par des moutons au Kirghizistan ça serait con quand même.

J’apprécie cette marche, elle offre un condensé du pays : cimes ciselées, vallées perdues, yourtes disséminées, bétails et chevaux au cœur de la steppe, lac à perte de vue… et bien évidemment… ciel orageux en approche… Comme hier, je me retrouve avec un front orageux à droite, un autre à gauche, au-dessus de ma tête le ciel bleu… Je presse le pas… Quand vient le moment où je me fais inviter dans une yourte, je cherche à éviter les appels mais m’y résous à leur répondre…

Bien que mal à l’aise, face à leurs conditions de vie, j’apprécie par-delà les différences culturelles ce véritable moment d’échange et d’humanité.
Comment eux me perçoivent-ils ?
Je parviens à rejoindre le campement à temps, juste avant 14 h, pour le déjeuner… Non pas sans commencer à ressentir des vertiges et des faiblesses… Je sais que je dois manger, j’ai envie de manger d’ailleurs, mais face à mon plat je fais la fine bouche… Quelque chose me bloque, moi qui d’habitude parvient à tout manger je ne comprends pas : l’avertissement de mon organisme est-il réel ? De peur de me rendre malade, je quitte la table et vais m’allonger le temps d’une sieste pour récupérer toutes ces heures de sommeil perdues sous tente.
Les airs de Chopin m’apaisent, les muscles se détendent, j’apprécie ce moment.
Ce soir-là, la Voie Lactée offrira un joli spectacle à qui veut voir.
Au repas, l’esprit ailleurs, tandis que j’écoute les uns et les autres, un charme inconscient opère lentement.
Je songe à cette prison qu’on a tendance à se construire tout autour de nous. Mais là-bas, la prison vole en éclat : c’est l’ivresse des vastes paysages, l’ivresse d’une liberté feinte, l’ivresse de la fuite…

Derniers moments ici, un très bel endroit à n’en pas douter… Je rejoins les rives, j’observe tout autour de moi : joli spectacle de ce que la nature peut offrir. Les yeux cernés de la nuit, tout débraillé, je cherche mon appareil pour capter les premières lueurs d’Héméra.
Comment capter l’immensité de ces lieux dans un si petit cadre ?
La marche débute, une fois n’est pas coutume on file seuls devant avec Marie. On échange sur nos voyages passés, elle me parle de ses expériences en Asie, bonnes ou mauvaises.
A ce moment-là, je songe à l’importance de la trace que laisse un séjour. J’apprécie souvent les choses à l’image de ce qu’elles laissent en moi une fois terminées plutôt qu’aux sensations éprouvées sur l’instant. Moi qui actuellement suis plutôt las, bien que j’apprécie avec force certains moments, je m’interroge sur l’héritage que me confiera le Kirghizistan : retiendrai-je cette lassitude ou cette liberté qui émane de ces terres ? A moins que je ne retienne la folie des cieux et tout ce qu’elle peut inspirer sur nos vies.
Arrivés au col de Kalmakashu on embarque dans le véhicule et rejoignons Kochkorka avant de nous rendre dans une coopérative de femmes confectionnant des tapis de feutre.
L’occasion également de déambuler quelque peu, discrètement, dans la ville…


Ces dernières années j’ai toujours ressenti le besoin d’écrire, qui plus est en voyage, être en mesure de poser des mots sur des sentiments. Cela procure un goût particulier, écrire l’entre deux et l’éphémère, mettre en éveil l’imaginaire et le réel. C’est aussi, et tout simplement, une mise en mémoire, un témoignage.
J'ai longuement écrit, assis dans le recoin d'une gare en pleine nuit à la lumière d'une ampoule agonisante, lors de vols plus ou moins turbulents, sur une banquette de train retardé, adossé à une façade de pierre, tassé dans un bus où on comprend que l'homme est moins compressible que l'air, allongé sur une dalle granitique tout en tentant de reprendre mon souffle. J'ai écrit à l'hôtel, sur des meubles Ikea, tant à l'aube qu'au crépuscule, à l'opéra, sous la tente, sur un lit d'hôpital, ivre dans une ruelle. J'ai écrit face à la montagne, face à l'océan, dans le silence du désert, dans le brouhaha des villes, au pied d'un glacier, au cœur des steppes.
J'ai écrit heureux, en pleurs, peiné, admiratif, en aimant, en haïssant. J'ai écrit les émotions brutes et mes folles envies dévorantes. J'ai écrit les départs, les séparations et le manque. J'ai écrit l'attente, l'incertitude et les doutes. J'ai écrit une idée du bonheur. J'ai écrit des mots qui aimaient, qui n'osaient pas, des mots violents aussi. J'ai écrit sur moi, sur mes proches, sur les gens. Et puis j'ai écrit sur des lieux, sur la nature et tout ce qu'elle infuse en moi. J'ai écrit sur ce rêve du quotidien que je rends mien. J'ai écrit pour me convaincre, pour expier, pour me souvenir. J'ai écrit pour me comprendre.
L'écriture a toujours été un refuge, un espace libre où tout est permis. Un moyen de tout remettre en question, de déconstruire ses acquis et bâtir de nouveaux repères. L'écriture met son être en éveil et le façonne, elle impose de toujours trouver le mot juste.
J'écris dans ce bus qui m'emmène dans le massif voisin, point de départ pour un nouveau trek de quelques jours. Je me rappelle de ces sentiers et de ces hommes sur leurs chevaux. Je me rappelle de cette yourte où l'on m’a convié.
Comme souvent, je réalise ma chance : celle de pouvoir se plaindre tout en ayant une solution facile à portée de mains. Le frigo est vide ? Allons au supermarché. Mal quelque part ? Allons voir le médecin. Un peu froid ? Une douche chaude.
Ce qui semble parfois acquis et admis ne l'est pas nécessairement ailleurs.
Même si on se dit conscient de cela parce qu'on l'a étudié en large et en travers toutes ces notions relatives aux inégalités. Il est bien différent de se retrouver là, assis au milieu d'une pauvreté évidente, face à ce bébé de quelques mois qui te sourit malgré tout. Eux qui n'ont rien t'offrent tout avec joie et simplicité. C'est le genre de situation qui saisit.
Les voyages ont cette capacité à constamment nous faire évoluer, à nous pousser au-delà de nos limites, à écrire une nouvelle page.
Le monde est bien plus vaste et plus riche qu'on ne peut l'imaginer. Il en va de même pour soi.
C’est pour ça que je voyage : pour apprendre.
Je me suis perdu dans des villes dont j'ignorais la langue. J'ai partagé des repas, des anecdotes et des sourires avec des inconnus. J'ai eu peur parfois, souvent j'ai douté de moi et dans mon aptitude à avancer. Aujourd'hui, je suis fier de ce chemin parcouru, fier de ma curiosité et de mon enthousiasme du monde qui m'entoure.
Que dire pour conclure ce meli mélo de pensées décousues : je voyage pour apprendre à vivre et j'écris pour me souvenir comme cette vie est belle.
Le soir on rejoint notre chambre chez l’habitant… et la tant attendue douche… C’est dans ces moments là qu’on redécouvre les bonheurs simples… C’est aussi le premier soir où l’on a internet, j’en profite pour prendre des nouvelles et en donner mais ne m’attarde guère.
Au dîner, après que chacun ait pu prendre sa douche, on redécouvre le vrai visage de certains : « Ah mais c’est vrai que tu as des cheveux Clément ! » « et oui… plus besoin du foulard pour les cacher… »
Les Kirghizes enchaînent les toasts vodkayennes… et quelques discours de remerciement de la part des uns et des autres.
Le reste de la soirée ou de la nuit, tout est relatif dirons-nous, se passera dehors dans les rues adjacentes… Déambulation hasardeuse à l’image de la conversation qui a lieu alors : un joli bordel de réflexions, d’interrogations et de « philosophie de comptoir ». De retour à la maison, on découvre non sans surprise que le portail est fermé et que notre voisine de chambrée dort… Après l’escalade du mur de propriété, en veillant à ne pas se prendre le courant électrique sur un quelconque fil dénudé, voilà qu’on rejoint enfin nos lits respectifs… Voilà un autre bonheur simple…
La nuit sera certes d’ivoire mais intrigante et riche en réflexions sur soi.