
Bichkek
13-14/08/2019 (Jours 1 & 2)
Au risque d’être inintéressant, tout carnet de bord commence par le fameux trajet aller et tous les désagréments qui s’ensuivent… Mon côté parano me fait déjà angoisser par anticipation le moment de l’escale à Moscou… Sans oublier l’habituel « pourvu que mon bagage me suive bien ».
Je me rends compte que je n’ai pas envie de décoller. J’ai la sensation de fuir la situation alors que je veux l’affronter. Sans doute pour cette raison que ces derniers temps j’ai davantage hâte de la reprise plutôt que du voyage. J’ai toujours préféré être en mouvement avec un cap bien défini plutôt que de demeurer ainsi en sursis à l’arrêt.
Une citation de Moix me traverse l’esprit :
« La vie cesse alors d’être une vie derrière pour redevenir une vie devant. De la même manière qu’un amour achevé nous enferme dans le passé, jusqu’à nous abrutir d’espoir. Nous quittons ce qui n’existe plus, et n’a peut-être finalement jamais existé, pour embrasser ce qui n’existe pas encore, et n’existera peut-être jamais. Le temps présent, ainsi, reste malgré les apparences le véritable temps de l’amour : il autorise, par le chagrin, le souvenir, le remords, le deuil et le regret, une amplification du passé ; il permet par le leurre, l’illusion, l’optimisme, l’espoir, l’espérance, une exagération de l’avenir. »
Voilà une pensée bien pascalienne…
Dans le vol pour Bichkek, j’échange avec un Kirghize étonné de voir autant de français dans l’avion. Je lui dis alors l’image que l’on a de son pays par chez nous : « un pays aux paysages immenses, diversifiés et qui ne sauraient inspirer davantage à la liberté, devenu le paradis des trekkeurs ces dernières années. » Il rigole et me répond « Liberté tu dis ? Oui… Les paysages sont beaux. Mais le sentiment de liberté n’est qu’une illusion, quiconque vit là-bas se sait emprisonné par la vie. » Je me sens con. Je ne m’attendais pas à cette réponse. C’est le problème du voyageur de courte durée que je suis : on passe, on survole, on s’émerveille, on pond des phrases passe partout… Sans savoir ce que les gens ressentent réellement. Ce n’est pas parce que la nature est belle que la vie l’est tout autant. Le voyage commence bien on dirait… Me voyant lui répondre qu’il a raison et l’invitant à me parler davantage de son ressenti, il décide de me parler des conflits liés à un pays aux multiples ethnies, de l’instabilité politique, de la corruption, de l’émigration, des problèmes économiques… « La seule chose qui nous retient de faire la révolution c’est le tourisme, si le peuple gronde les gens auront peur de venir et il en sera fini de nous. » Une phrase que j’entendrai de nouveau lors du séjour…
L’arrivée se fait à 5 h du matin à Bichkek (1 h heures françaises). Après une courte nuit, nous partons à l’exploration de la capitale kirghize. C’est la journée tampon, si j’ose dire, avant de prendre la route et d’entamer les treks : celle qui fait ton acclimatation au pays, celle où tu prends le temps de t’imprégner de ces nouveaux lieux, celle qui te déboussole mais te rassure aussi peu à peu.
En un instant le dépaysement est là, le cerveau alors débranché de ma vie française je songe à ce qu’on avait pu me dire un jour : « à force de voir des pays tu auras l’impression de toujours voir la même chose ». Je ne sais pas si c’est vrai, ce qui est certain c’est que ces dernières années je n’ai jamais ressenti les mêmes émotions… Chaque voyage a été source d’un dépaysement qui leur sont propre. Certes, on garde de meilleurs souvenirs de certains voyages, mais ça c’est une autre histoire. En ce sens, en flânant au gré des étals dans le dédale du marché de Osh Bazar, je sais d’ores et déjà, que le Kirghizistan m’offrira à sa manière cette même singulière émotion que je cherche tant.
L’architecture ex-URSS est palpable dans l’ensemble de la ville, tout semble à l’abandon, il y a une certaine tristesse à voir cela. J’ai envie de fuir ce lieu.
En parlant de l’URSS, il semblerait qu’elle soit regrettée par une partie de la population pour laquelle elle offrait l’éducation et la nourriture, bien que la liberté fût piétinée, soulevant de nouveau le débat sans fin sur la liberté et la sûreté : à quoi ça sert d’être libre si on n’a pas les moyens de vivre ? A quoi ça sert de vivre si on n’est pas libre ?

