top of page

Qeqertarsuaq

 

15-17/08/2017 (Jour 3-5)

 

Départ matinal pour Qeqertarsuaq, l'une des plus anciennes villes du Groenland située sur l'île de Disko, la plus grande du pays.

 

900 âmes sur l’île… 850 à Qeqertarsuaq… On sent qu’ils ont eu besoin de se regrouper !

 

La légende raconte que deux chasseurs du Sud auraient libéré l'île qui se mit à dériver vers le Nord le long des côtes... A l'approche de la baie une sorcière lui aurait jeté un sort pour l'immobiliser. 

 

De manière plus rationnelle… en regardant une carte on comprend vite d’où l’île s’est décrochée en réalité…

En attendant que les responsables du bateau démontent le moteur et réparent la panne (truc très rassurant avant d'entamer la traversée...). Je m'interroge sur les raisons qui me poussent à voyager.

 

Je pense que réside en moi cette insatiable curiosité que seule la quête de l’inaccessible horizon parvient à satisfaire. Une sorte de chute horizontale.

 

Voyager vers l’inconnu c’est se confronter aux différences, aux autres, c’est réfuter toutes ces excuses qu’on se trouve, ces mensonges, c’est comprendre le monde, et cette beauté qui réside en toute chose (dans un regard, dans une main tendue, dans un sourire), c’est aussi voyager en soi, tout simplement, et il n’est plus difficile et plus enrichissant voyage à entreprendre que ce dernier.

 

Que l’on me pardonne, alors, si parfois je me dérobe vers l’inconnu et désire l’absence.

 

Ah ça y est le moteur tourne ! On embarque !

 

Sous l'aube naissante, malgré le fait qu’au loin j’entende gagner de proche en proche le sourd vêlage des glaciers alertés par mon départ, la mer demeure d’un calme sans égal. Le bateau s’éloignant, cette muraille blanche hissée contre les cieux s’affaiblit pour laisser apparaître l’Île de Disko à l’Ouest enveloppée sous sa brume légère et matinale. Cette île semble intime comme un rêve, m’y perdrai-je et y trouverais-je ce que je cherche ?

 

Le bateau slalome entre les icebergs... Venus s'arracher de l'isfjord d'Ilulissat... Et dire que ces neiges sont vieilles de plusieurs milliers d'années... Ca donne le vertige et quelque part ça brise le coeur de voir un iceberg "exploser", s'effondrer... Mais ainsi va le cycle de l'eau.

 

Quelques instants ici suffisent pour s’oublier. Nul endroit ne peut inspirer davantage que cette flèche blanchâtre déchirant le voile brumeux qui l’enveloppe et ces rivages qui se meuvent au gré des humeurs du temps, entre ouate et clarté : douce métaphore de la vie. Ici on accepte aisément notre insignifiance, on la désire même cette absence : rien que je puisse penser, dire et faire aura conséquence sur ce monde. Détachement et effacement. Voilà une pensée bien égoïste, ou bien altruiste, à voir, je ne suis pas juge.

La cabane des pêcheurs d'antan apparaît... On accoste.

 

Sur ma réservation il est indiqué sous le nom de l'auberge : pas d'adresse. Cool. Je demande à la dame du port qui m'indique une direction : ma zone de recherche est réduite de moitié. Fonctionnons par dichotomie et tout se passera bien.

 

A la poste deux gamins, tout heureux de baragouiner de l'anglais, me conseillent de descendre et de prendre à gauche... Retour au point de départ... Il ne reste donc plus que ce côté à vérifier. Je demande à un mec au supermarché et là... Magie magie... Il me sort de sa veste mes clés de chambre, si si, et me conseille de suivre l'antenne. Il y a des hasards comme ça on ne sait pas trop qui remercier...

 

Une nouvelle fois seul dans le dortoir... Pourvu que ça dure ! Et puis vue sur ces immenses formations basaltiques depuis la fenêtre... Le petit géologue que je suis n'en demandait pas tant.

Le temps de poser le gros sac, de faire le petit et go pour la découverte de cette petite ville.

 

Qeqertarsuaq m'offre ce qu'Ilulissat n'avait pas : de la proximité avec les gens et la nature. A Ilulissat les gens étaient désagréables, ici ils te disent bonjour à chaque coin de rue, à Ilulissat on ne t'explique rien, ici on prend le temps de t'aider. A Ilulissat la nature est grandiose et spectaculaire "m'as-tu vu", ici, plus mesurée, elle charme et peu à peu t'attire à elle. 

 

En revanche comme à Ilulissat la VRD se fait en surface... Sur les rochers courent donc bon nombre de canalisations passant de maison en maison.

 

Première balade à Qaqqaliaq : cet endroit était autrefois le promontoire des chasseurs danois d'où ils surveillaient la banquise pour y apercevoir phoques et baleines. Ce sont eux qui ont fondés Qeqertarsuaq à la fin du 18ème.

​

Le petit sentier offre une tranquillité sans pareille... J’aime ces lumières, j’aime ces ailleurs, j’aime l’insondable, j’aime aller partout où ma curiosité me pousse, où la beauté m’émeut. 

 

Arrivé à la cabane en bois peinte aux couleurs du drapeau danois je m'assois et profite de l'instant...

C'est sur cette note onirique que je retourne à Qeqertarsuaq avec ses maisonnettes multicolores pour m'imprégner de son ambiance si particulière où tout semble si simple.

 

En attendant que la nuit tombe, je randonne à Osterlien qui offre une superbe vue sur la mer et surtout... Une végétation très verte et luxuriante... Quel contraste avec le reste.

 

L’eau, sous ses trois états, est d’une fascinante, fidèle et étonnante compagnie. Lacs, icebergs et brumes me plongent dans un autre monde : un monde de mystères, d’imprévus et de secrets. Et que dire de cette lumière, insaisissable, omniprésente…

 

Ce qui l'est moins ce sont les mouches... Si elles étaient humaines je suis sûr qu'elles me verraient comme une raclette ou un autre plat bien français sur lequel tu sautes dessus.

 

Tout, autour de moi, est plongé dans le silence, l’eau scintille d’un blanc pur…

 

Ici, l’Ether se dévoile, chacun de ses traits sont perceptibles, rarement je me suis senti si proche de lui… Là-haut, un anneau brumeux de lumière se détache et happe mes pensées… Je sombre dans ce tourbillon d’étoiles mouvantes, les jours passés se mêlent aux présents, en un instant tous s’entremêlent et s’entrechoquent.

 

Il faut redescendre.

Ce qui est chouette c'est qu'on a l'impression que les maisons se sont construites un peu n'importe où ce qui fait qu'on sait jamais si on est chez quelqu'un ou non. En revanche les chiens le savent. Eux.

 

Il y a quelque chose qui me désole un peu : ce sont les détritus que l'on peut trouver dans la ville et à proximité... Quand tu es cerné par une nature à ce point vierge et sauvage comment peux-tu jeter ne serait-ce qu'un papier à terre ? 

 

On parle de plus en plus d'écologie, ce qui veut tout et rien dire d'ailleurs, surtout vu ce que les médias en font. Mais sans rentrer dans d'interminables débats, sans se sentir obligé de s'étiqueter écolo ou non, avec des pratiques plus ou moins extrêmes et plus ou moins stupides parfois, la base, oui la base de la base, c'est de ne pas jeter ses déchets par terre... C'est pas nécessairement de l'écologie c'est du bon sens !

 

Liste de gros cons : celui qui jette ses déchets, celui qui tape dans les cairns...

 

Au café du coin, où je m'arrête dîner, un homme entre, nos regards se croisent : je ne saurais dire ce que j'ai vu dans ses yeux mais le regarder me fit mal.

 

Plus tard, saoul, il s'approche de moi... Je guette la porte de sortie et me tient prêt. Peu à peu je découvre qu’il compte davantage de crevasses et de blessures que la calotte polaire, que les années l’ont rongé jusqu’au blanc de l’os, à tel point qu’il semble dépourvu de chair et d’émotions lorsqu’il me danse avec ses mains sa vie. Je trébuchais sur ses sons. Je comprenais enfin ce que j'avais vu dans son regard : le désespoir.

 

Les souvenirs passés… Certains s’en nourrissent comme si leur disparition signait la leur. J’essaie de lui faire comprendre que les fantômes sont comme les cerfs-volants : tenez-les et leurs ombres vous suivront toujours, rendez leur leurs libertés et alors vos lendemains s’ensoleilleront.

 

A ce moment-là, je me dis que j’ai un talent certain en tant que mime. 

​

Le vieil homme et la mer

 

Dès le levé de Lune, à la barre, l’Homme porte son regard à l’horizon. Il essaie, par mille contorsions, d’apercevoir sa femme, sa future fille et l’aîné guettant inlassablement son retour. Il a hâte de rentrer. Il jette un œil au ciel étoilé, si tout va bien il rentrera d’ici la fin de semaine. Le même rituel débutera alors : il se rendra au temple prier leurs âmes vagabondes, il songera aux souvenirs passés, aux paroles, à cet amas de nuits blanches qu’il est devenu, à ce premier réveil où il a cessé de pleurer après tant de nuits de dénie, de douleur, de colère, d’acceptation de l’inacceptable. Désormais, seul le vide habite son coeur. Il retournera alors en plein océan là où il ne pourra blesser personne, lui qui se refuse de subir cette injustice de vivre avec les autres alors que d’autres ne peuvent plus vivre avec lui. Survivre. Voilà sa manière de vivre. Survivre. Envers et contre tout et tous. Survivre. Le vieil homme, un jour, j’en suis certain, se surprendra à sourire de nouveau et qui sait… à aimer. Hemingway n'écrivait-il pas "un homme peut être détruit mais pas vaincu" ?

En lisant le guide j'apprends que le boeuf musqué est tellement spécialisé pour lutter contre le froid qu'il souffre d'insolation passé 10 degrés et est forcé de s'allonger sur la neige... J'ai trouvé en quoi me réincarner.

 

Sur ce, bonne nuit... 

...J'ai rêvé que j'étais un boeuf musqué qui s'était fait tuer et dépecer par une étrange nana habillée avec une peau de phoque et portant des hérissons pour nourrir un lexicographe.

 

Plus sérieusement, cette nuit une vie s’éteignait alors qu’une autre s’allumait, et ce, sans que cette foutue horloge ne marque la moindre pause. Je cerne enfin la source de mon agacement derrière les « tic-tac » qui résonnent en ma chambre : ils s’écoulent avec cette constance maniaque, indifférents à l’intensité de l’instant présent. Le poids d’une seconde est le même que les gens naissent, souffrent, meurent, s’attristent, rient, s’énervent, s’entraident, s'aiment.

 

C'est mal fait, non ? Le pire c'est ce que l'on nomme le "temps perçu"... Une journée avec un proche passe beaucoup plus rapidement qu'une journée avec un client... C'est mal fait ! Si un jour je suis élu Dieu ça sera ma première réforme tient... Puis j'irai défriser des moutons.

 

Le brouillard est épais... Il n'est donc pas question de partir en rando. Dommage, mais la sécurité passe avant toute chose.

 

Je profite de cette immobilisation pour en apprendre un peu plus sur le pays, de par le guide mais aussi auprès de la serveuse de la veille, et notamment cette philosophie "Immaqa", signifiant "peut-être on verra", que l'on ressent profondément ici. En effet, l'exactitude n'est pas leur fort... "Le bateau passera dans l'après-midi" "quand précisément ?" "On verra". Cela est sans nul doute dû aux variations extrêmes du climat, aux contraintes quotidiennes et les privations auxquelles leurs générations ont pu faire face. Cette philosophie traduit aussi cet esprit indépendant, simple et flexible.

 

Une chose peut étonner au début : les horaires des bureaux par exemple (10 h - 15 h)... Quand les premières usines se sont construites il était fréquent que les employés s'absentent sans prévenir des jours durants ne parvenant à accepter d'être obligé de travailler toute la journée : une météo propice à la chasse et ils partaient. Ainsi ces horaires leur permettent d'aller pêcher ou autre.

 

En parlant chasse, ça me fait penser à hier où un gamin d'une dizaine d'années regardait les fusils... L'âge où ils attrapent leur premier gibier.

 

Il y a un réel contraste ici entre modernité et tradition, nouveau et ancien. Les premiers jours voir une veste Adidas avec des bottes en peaux de bêtes surprend ! Mais c'est aussi tous ces téléphones portables, ces grandes entreprises groenlandaises connues à l'international... Un certain dynamisme dû à une occidentalisation de la région transforme peu à peu les villes et ses habitants alors que non loin les plus petites continuent d'être autonomes en vivant de la pêche et de la chasse essentiellement.

 

L'acceptation du touriste est une affaire de génération dans les "grandes" villes où les anciens nous voient comme une menace tandis que les jeunes, connectés, sont heureux de cet intérêt à leur égard leur permettant aussi de mieux découvrir le monde qui les entoure. Dans les villages c'est encore différent : ils sont fiers, fiers que leurs mode de vie et leurs coutumes intéressent nous autres venant de "puissants pays" qui "avons tout".

 

J'en profite pour demander comment ils préfèrent qu'on les appelle. Le terme inuit représente environ 90 % de la population, les autres étant danois. Ainsi Kalaallit signifie groenlandais et fait plaisir à tous. Le terme eskimo a été popularisé par les explorateurs d'antan et signifie "mangeur de viande crue", ce terme n'est pas péjoratif au sens "insulte" mais sont appelés ainsi ceux fortement attachés au passé et à ses coutumes.

 

On me demande ce que je pense de la situation entre Trump et Kim Jong Un... (Je les avais totalement zappés ces deux clowns !) Les groenlandais se souviennent encore des essais nucléaires américains à Thulé et de la mystérieuse et célèbre quatrième bombe nucléaire perdue on ne sait où dans les environs... 

​

Dehors, le brouillard s'allège doucement, la rive d'en face s'éveille enfin mais les falaises demeurent invisibles...

 

Pourrais-je atteindre le glacier Lyngmark aujourd'hui ?... 

​

Découverte d'un poème de Henri Michaux :

 

"La nuit remue

 

Icebergs, sans garde-fou, sans ceinture, où de vieux cormorans abattus et les âmes des matelots morts récemment viennent s'accouder aux nuits enchanteresses de l'hyperboréal. 

 

Icebergs, icebergs, cathédrales sans religion de l'hiver éternel, enrobés dans sa calotte glaciaire de la planète Terre. Combien hauts, combien purs sont tes bords enfantés par le froid. 

 

Icebergs, icebergs, dos du Nord Atlantique, augustes Bouddhas gelés sur des mers incontemplées, phares scintillant de la mort sans issue, le cri éperdu du silence dure des siècles.

 

Icebergs, icebergs, solitaires sans besoin, des pays bouchés, distants et libres de vermine. Parents des îles, parents des sources, comme je vous vois, comme vous m'êtes familiers."

 

Sur les airs de Warren Zevon et d'Elton John le sac se prépare et les orgues basaltiques surgissent.

 

Allez c'est parti bien que la partie supérieure refuse de déposer son manteau de brume... Dans la rue une musique festive m'attire... Je me faufile dans la salle communale et découvre une danse en tenues traditionnelles... Je profite de l'instant qui m'est offert avant de m'éclipser.

 

Plus tard je découvre une petite fille habillée en tenue traditionnelle et portant son sac La Reine des Neiges... Contraste entre ancien et nouveau. Avec l'autorisation de la maman je la prends en photo... Mais elle fait la tête... Je crois d'abord que c'est à cause de moi et m'excuse auprès de la dame avant de comprendre que c'était peut-être la rentrée des classes (qui se fait à la mi-août), qu'elle venait de faire un caprice et qu'elle était maintenant en train de bouder sa maman... 

Les chiens me saluent et s'apparentent alors davantage à des loups...

​

Leurs regards impressionnent...

 

La pluie débute, le brouillard se met à descendre et à m'encercler... L'alarme de la ville en contrebas sonne ma retraite. Parfois, il faut savoir renoncer...

 

A la descente je croise un groupe de français (incroyable le nombre de français rencontrés ! Rarement vu autant en voyage !) mené par un guide... Ils me demandent comment c'est là-haut "vent et brouillard". Ils continuent leur ascension tandis que je poursuis la descente... Le vent, la pluie et le brouillard forcissent... J'ai eu raison de renoncer à l'ascension.

 

Je le vis face aux icebergs, sur le banc de plage assis, seul à la proue d'un navire fantôme, plongé dans ses rêves et ses secrets, le regard perdu dans les flots du temps, les larmes plus salées qu'un vent marin, le coeur submergé d'illusions perdues. Ses promesses ont mis les voiles, ses sentiments ont fait naufrage, seuls au large de ces souvenirs.

 

Il releva le menton et me surprit à l'observer. A cet instant, je cessais d'être pour lui un inconnu. Dans ses yeux douceur et douleur s'y mêlaient. Il avait le regard de ceux qui ne doivent rien à la vie. Les secondes prenaient leur envol et je m'écrasais au sol.

De retour à la piaule après quelques courses. La brume retombe aussi subitement qu'elle s'en était allée... 

 

J'en profite pour relire mes notes pour ces prochains jours, finalise les cartes postales que je posterai en fin de compte en France (...), recharge les batteries... Bon. Et maintenant ? Je suis seul devant cette page blanche et m'interroge...

 

Processus de déconnexion du cerveau activée.

 

Tentative de rallumage du système.

Echec.

Tentative de rallumage du système.

Echec.

 

...

 

Démarrage en mode sans échec.

 

Sieste fait bien. Brume toujours là. Loque humaine. Manger quoi.

 

Redémarrage du système avec tentative de récupération des données système.

 

Oh la vachette ! Je viens de me faire une sieste d'anthologie. Qu'est-ce que ça fait du bien ! Ca épuise d'écrire toutes ces bêtises dis-donc ! J'ai bien cru ne jamais pouvoir émerger !

 

Le brouillard est toujours là... Je rejoins le café resto sous le vent et la pluie... Electrochoc total après la chaleur de la couette... Et savoure un super poisson ! Le temps de revenir à la chambre et voilà que les falaises sont dégagées ! Espérons qu'elles le demeurent demain où avant de rentrer à Ilulissat je compte bien découvrir la vallée de Kuannit.

Le ciel est blanc et incertain... J'y vois une fenêtre météo favorable tout en sachant qu'il ne faudra pas traîner : le vent est bien trop fort pour que tout reste ainsi figé. 

 

Dos au vent dans la vallée basaltique de Kuannit quand les premières gouttes tombent... Avec les rafales d'Eole cela s'apparente à des sceaux d'eau te faisant sursauter à intervalle régulier. 

 

Ca me rappelle un certain métronome : cette petite tige d'acier se balançant de la droite vers la gauche puis de la gauche vers la droite et brisant le silence à chaque changement de direction pour te rappeler que tu es hors du temps. Hors de tout. Comme d'habitude. 

 

Quoi de plus triste qu'un métronome ? Combien de fois ai-je rêvé qu'il s'affole, qu'il envoie valser le temps, qu'il se mette à vibrer avec la musique. Mais non... Le temps est dépourvu d'émotions et de subjectivité, il s'exécute juste. Il est cette guillotine qui s'abat sans se soucier de savoir qui est en-dessous.

Au loin le Lyngmark tire la langue... Il se moque de moi... Ridiculement petit et seul à son pied. Je n'ai pas dit mon ultime bafouille. Etant parti tôt, si la météo le permet, qui sait... Je pourrais aussi tirer la langue.

 

Pour le moment, c'est l'autre versant auquel je fais face... Le paysage est hypnotique avec toutes ces arabesques basaltiques...

 

Dès le premier élan vers l’horizon sauvage je me sens grain de sable face à ces falaises qui s’élancent chatouiller l’Ether. Ces paysages à la vénusté singulière imposent le respect. Imaginez donc : des vallées et plaines noires aux teintes verdoyantes qui viennent se jeter dans cet océan insondable tandis qu’au loin s’élèvent ces fantômes glacés. Bienvenue au Groenland. Le spectacle est aussi majestueux qu’hostile. Cette brume ajoutant un surcroît de mystère aux lieux.

 

Là-haut, une détermination ineffable m’enchaîne à la terre. L’insoutenable légèreté de l’être m’immobilise. Je veux que le temps s’estompe, qu’il me laisse seul, face à mes doutes et mes sentiments vacillants de ces derniers jours.

 

Là-haut, égoïstement, je rêve d’avoir ces lieux pour moi seul : que cette symbiose avec les éléments me soit dédiée, que lors d’un court instant je me sente seul explorateur et maître de mon destin.

 

Le sentier se complique, les racines et les pierres libres sont détrempées... La chute n'est jamais bien loin surtout avec ce sac changeant nettement le centre de gravité... 

 

Je dois confesser qu'à ce moment nait en moi un désir infime, celui d’observer une baleine. Animal rendu mythique par Herman Melville et qui a suscité la crainte bien avant la fascination. 

 

Alors imaginez le bonheur lorsque l’expiration des baleines à l’horizon brise le silence...

 

Debout sur un promontoire, je guette l'horizon… Le simple fait de fixer cette eau étale est propice à la rêverie. Je n’ose froisser davantage la quiétude de ces lieux et me tient immobile et silencieux. Puis une vaguelette qui se forme à la surface interpelle mon regard, je connais l’origine de cette onde… Une baleine approche.

 

A ce moment, l’océan se fissure et la baleine émerge du silence des grands fonds. Emerveillé par la délicatesse et l’élégance d’un tel être vivant. Je ne peux détacher mes yeux d'elle.

 

Episode d'une rare brièveté et intensité mais "seul l'éphémère dure" disait Ionesco.

A louer : Bouillotte portative.

Vous avez froid ? 

Vous êtes détrempé ?

Votre radiateur n'est pas assez puissant pour vous réchauffez ou ne peut vous accompagnez de partout ?

Choisissez Clementouillote. La bouillotte de l'extrême. Face à la pluie, au froid et au vent, la Clementouillote vous garantit une chaleur permanente avec le sourire.

S'auto-entretien. Sait parler.

Garantie à vie.

Satisfait ou remboursé.

Fabriqué en France.

Édition limitée.

Tarif : Quelques sourires sincères.

Après une courte pause photo sur le trône de basalte, je remarque le changement rapide des flux d'air. Mauvais signe. Il faut faire demi-tour. Il s'ensuit une course contre la brume. Enfin dégagé d'elle c'est le vent et une pluie violente qui m'assaillent... La traversée de la terrasse en basalte, offrant nul refuge, se fait plier en deux, sans cesse déséquilibrer, le pantalon se gorge d'eau, l'imperméable cède face à l'eau et offre une porte inespérée au froid. Je n'ose m'arrêter pour rajouter une couche : détremper je le serai davantage sans parler de l'intérieur du sac. Heureusement je suis la super bouillotte ambulante.

 

Sur le chemin je fais un crochet par la cascade de la rivière rouge, véritable témoin de la violence aqueuse. Le Lyngmark est de nouveau voilé... Bon ok. Tu as gagné. Je renonce à te gravir...

 

Les premières maisons colorées apparaissent... Je rêve de la salle, sèche, du café-resto... Qui est fermée aujourd'hui... Merde. Grosse désillusion. Du coup je rejoins le hall du supermarché.

 

Un petit détail m'inquiète : le bateau de ce soir... Sera-t-il annulé ? Pour dormir, je saurais me débrouiller mais j'ai "promis" de donner un signe de vie à mes parents ce soir... Si je ne parviens pas à rentrer à Ilulissat, c'est mort... et risque d'être déclenché le plan Arianne.

Bon, trêve de plaisanterie, déjà un téléphone puis un numéro.

Je répète la phrase en anglais "At this moment I am at Qeqertarsuaq, I must to take a boat at 6:00 pm for Ilulissat. Can you confirm me the time of departure ? If it is possible, can I take a previous boat ?". Allez Clément lance toi... Ca sonne... La pression monte... Une voix... Aaaaahhh ! C'est un robot qui parle et qui me dit de taper 1, 2 ou autre je comprends rien... Je ne peux donc pas avoir un être humain au bout du fil sensible à mes hésitations, indulgent à cet égard et reformulant ses propos ?

A côté du téléphone il y a une chaise... C'est un signe. Je dépose toutes mes affaires et les mets à sécher. Le bateau arrive dans 5 h. Patience.

 

Les français d'hier apparaissent... Détrempés eux aussi. Leur bateau est à 13 h, soit dans 30 minutes. Je vais tenter d'embarquer avec eux s'il y a de la place.

 

On échange rapidement, ils me disent avoir fait l'Artic Circle Trail. Etant un projet je tends l'oreille : "éprouvant pieds toujours mouillés" "pas de dénivelé mais marécageux" "facile de se perdre" "7 jours où il faut être totalement autonome" "superbe expérience".

 

Leur bateau est plein. Je reste sur le rivage et retourne au supermarché sur ma petite chaise. Allez. Encore 4 h.

 

Pause photo pour tuer le temps, faire sécher l'étui et faire l'inventaire de la bouffe restante dans le sac.

 

H-3 : la pluie a cessé mais le vent continu son tango fou avec la brume.

 

Je suis seul sur cette chaise face au mur blanc habillé de mots qui feraient un malheur au Scrabble. 

 

Le groenlandais fait partie de ces langues que je nomme "d'agglutinante" : un noyau autour duquel s'incrémente tout un tas de suffixes et préfixes qualifiant ou détaillant le noyau. Par exemple : bleugrandemaisoncharmanteintimiste. De suite on comprends mieux la longueur de certains mots qui pourraient faire l'objet d'une phrase entière en français. Cela n'est pas sans me rappeler le suédois, ou l'allemand.

 

Il n'y a de lieu plus propice à la méditation que le vide parce que l'homme ne sachant vivre sans repère doit obligatoirement s'en créer en son soi et s'y reposer.

 

H-2 : A ce moment-là je retombe sur le vieil homme de l'autre jour... 

 

Décidément on ne se quitte plus... Un silence gêné s'installe. Sobre il semble moins enclin à raconter sa vie... "Il pleut dommage pour vous" "oui" "d'où venez-vous ?" "De France"... Court échange d'amabilité avant de s'en aller et de me remercier, la larme à l'oeil, pour avoir pris le temps de l'écouter l'autre jour... Sa sincérité mêlée à la tristesse refoulée et contrôlée me touche. Je le regarde s'éloigner par la vitre avec en transparence mon reflet marqué par une larme à l'oeil.

 

H-1 : Dernière ligne droite que je passe dehors... Le soleil apparaît !

 

Je songe à ces vers de Juan Cameron découverts dans un journal équatorien il y a quelques années déjà :

 

"El paisaje de ayer esta distinto

Permanece colgado en la memoria

Pequeños gestos o detalles

Aguafuerte en un granado antiguo"

 

H-0 : Youhou !

 

Le bateau s'élance enfin et enlace les flots. A l'horizon les pensées se perdent, errent... Qeqertarsuaq cesse d'être un point à l'horizon et disparaît dans l'étendue arctique.

 

Je discute avec une anglaise qui, heureusement pour moi, parle français. On s'échange nos itinéraires et nos infos. Je lui explique la formation de toutes ces falaises de basalte et de ces formes incongrues, quant à elle elle m'explique pourquoi l'isfjord d'Ilulissat est si impressionnant, au-delà du fait qu'il est alimenté par l'un des glaciers les plus actifs au monde, la profondeur est faible dans tout le fjord avant que les fonds marins ne plongent subitement à près de 1000 m de profondeur ce qui fait qu'il y a embouteillage avant que les icebergs ne "tombent" au large.

 

Des icebergs on en frôle justement... Ca me fait penser à de la meringue même si j'aimerais pas me les manger. D'ailleurs les gilets de sauvetage me font sourire... Je pense que la Clementouillote a ses limites. C'est comme sauter d'un avion avec un casque intégral. 

 

L'océan arctique ou l'océan sans vague.

Pour me contacter

Vos informations ont bien été envoyées !

«Le plus grand voyageur n'est pas celui qui a fait dix fois le tour du monde. Mais celui qui a fait une seule fois le tour de lui-même.»

Gandhi.

bottom of page