
Qasigiannuit
23-25/08/2017 (Jour 11-13)
Départ pour Qasigiannuit (= petits phoques colorés) au sud d'Ilulissat.
5h20 : le réveil sonne et je bondis si haut que je manque de peu de cogner le lit du dessus. Je regarde l'heure, lâche un "putain..." à peine audible (enfin le crois-je) avant de me préparer tout en entendant la pluie taper contre la fenêtre pour m'inviter à la rejoindre... Voilà une Juliette qui ne m'inspire qu'un autre juron.
L'attente au ponton avait déjà été une épreuve lors du départ pour Qeqertarsuaq à cause du froid et surtout... De l'humidité !... Là avec la pluie et aucun abri aux alentours... J'ai rêvé me transformer en boeuf musqué.
Aussitôt dans la cabine, je m'allonge sur toute la longueur de la banquette et m'endort pour les quelques 3376 secondes suivantes.
Le bruit du bateau percutant les icebergs, ou encore le bruit de ces derniers raclant la coque, est pour le moins troublant...
Je profite des deux heures suivantes de navigation pour faire le tri dans les photos, il est toujours étonnant, et appréciable, de voir l’évolution dans les prises de vue : ce qui nous étonnait au début est devenu désormais familier et, peu à peu, mes yeux s’attachent enfin aux détails, à ces toutes petites choses qui magnifient le paysage. Un peu comme dans une symphonie de Mozart… Le hautbois est souvent celui qu’on remarque en dernier, et pourtant, sans lui, la symphonie ne serait rien.
Néanmoins, je demeure déçu, mes clichés ne font honneur à la puissance de ces lieux. Heureusement, les regarder me suffit à replonger dans l’atmosphère surnaturelle du Groenland : entendre de nouveau le cœur du glacier vibrer, le souffle puissant des baleines, les gémissements de ces renards joueurs, les hurlements des chiens, sentir la brise me caresser les joues, m’émerveiller devant cette palette de couleurs, ...
Encore une heure pour atteindre le port de Qasigiannuit, dernière étape de mon périple.
Débarquement sous la pluie, évidemment, les jambes lourdes me guident seules à la réception pour récupérer les clés de la chambre... Qui sera prête d'ici 2 h... J'en profite pour poser le gros sac et repérer les lieux malgré la tempête.
Qasigiannuit n'a ni les commodités d'Ilulissat, ni la chaleur humaine de Qeqertarsuaq, ni le charme de Oqaatsut... Et autant dire que sous la pluie... Ca donne envie de rester à l'abri...


Retour à la réception où j'attends au chaud et profite pour terminer "Le tour du monde en 80 jours" de Jules Vernes... Nouvelle déception après "20 000 lieux sous la mer"... Décidément sa plume n'est faite pour moi... Ses écrits sont dénués de sentiment, les personnages sont creux (qui donc s'est attaché à Phileas Fogg ??) et les descriptions sont faites mathématiquement. Aucune émotion ne transparaît. Il faudra que j'essaie de découvrir les livres de Poe qui l'a inspiré : est-ce l'élève ou le maître qui est le plus lisible ?
A ce moment-là le chef cuisinier de l'hôtel me demande si du "Reindeer" me va pour ce soir... Mais qu'est-ce qu'il me dit... "Je ne comprends pas ce mot, c'est quoi ?" "Vous connaissez le Père Noël ?" "Oui ! Rassurez-moi ce n'est pas lui que vous avez chassé !" "Haha non, mais presque !" "Vous m'inquiétez !" "Le Père Noël vole grâce aux Reindeer" (il se met à mimer le renne) "ah ! Bah ok ! Je ne connais pas alors je goûterai avec plaisir !"
On me confie les clés de la chambre... Sans doute le meilleur établissement que j'ai pu avoir depuis le début... Je m'effondre sur le lit. Morphée me kidnappe sans crier gare.
A mon réveil la tempête a cessé mais je suis cloué au lit par une flemmingite aigüe... Là-haut, toutes les petites créatures vivantes en ma tête essaient de trouver un accord mais le débat est houleux "il doit se reposer !" Dit l'une quand une autre réplique "on ne sait jamais de quoi est fait demain, il faut profiter tant qu'on peut !" Appuyée par une autre "le voyage est bientôt fini il se reposera dans l'avion, il aura bien le temps non !" Mais la première ne cédait pas "il est 15 h il doit être rentré pour 18 h ce n'est pas 3 h perdues qui gâchera son voyage surtout que cette ville est moche !" "3 h ce n'est pas lui infliger une grande fatigue supplémentaire..." "Ah ! J'abandonne !". Voilà donc comment je me retrouve dehors ne sachant où aller.
Petit coup d'œil à la carte : la péninsule de Nuussuaq s'avançant seule dans le lac Tasersuaq semble à proximité... Allez !
Par deux reprises repoussé par les chiens, je patiente et continue de les contourner avant de trouver enfin un chemin qui me mène au bon endroit... Et quel endroit ! Avec la tempête je n'avais prêté attention aux lieux enveloppant la ville... Une multitude de petits fjords avec des reliefs, bien plus abruptes qu'à Ilulissat, qui plongent sans ambages dans les profondeurs aqueuses.
En bout de péninsule la vue berce tandis que le vent me violente. Hâte d'être au lendemain pour découvrir le sud et le surlendemain pour le nord...

Au dîner, avec une vue sur l'océan à se damner, je goûte au fameux renne... Et il faut admettre que c'est bien bon... Oups désolé les enfants...
L'océan à perte de vue m'absorbe... Qu'y a-t-il donc sous toute cette eau ?
Face à ce coucher de soleil, mes pensées errent de nouveau au large... Cette fois je refuse de les enfermer sur une page et leur laisse toute liberté... De toute manière, elles sont de ces idées si éloignées de la raison qu'elles ne peuvent être captées au vol sans un minimum de calme et de tolérance envers les élans du coeur...
Sur ce, bonne nuit.
Chaque matin je suis enchanté par toutes ces couleurs. Au travers de ces fjords, ces glaciers, ces eaux, ces sommets, je me sens chez moi, filant vers l’inconnu, à la quête de l’essentiel et de l’équilibre. J’aime ces moments de symbiose avec l'environnement, des moments de méditation et de recueillement, des moments d’effacement de soi, des moments privilégiés.
C'est là que je m'aperçois que je suis beaucoup plus sensible aux paysages vastes... Ceux où ton regard se fixe au loin, ceux où tes pensées ne trouvent d'écho. Sans doute est-ce mon côté un peu claustrophobe qui ressort.
Le ciel est quelque peu voilé mais le soleil parvient à briller à travers ces nuages. Il m'inspire.
Nous sommes à l'image d'un météore filant à toute allure dans l'univers. Issu de la rencontre de deux corps, glissant dans l'univers et finissant sa course en poussières.
Notre trajectoire est plus ou moins influencée par la force gravitationnelle des corps que nous rencontrons. Notre traînée est de la couleur de notre âme. Notre éclat est éphémère...
Sachant cela, qu'importe les tempêtes solaires ou les trous noir, tâchons de toujours briller de mille feux dans les yeux des gens, de graver leurs rétines, de leur offrir cette lumière qui illumine leurs nuits et participer ainsi à l'accroissement de leur propre éclat. Parce qu'ainsi, le jour où nous nous écraserons, notre éclat continuera d'étinceler dans leurs yeux.
Si ma mémoire est bonne, J. Prévert avait écrit "Le bonheur en partant m'a dit qu'il reviendrait.". Il incombe à chacun de faciliter son retour : en lui tenant la porte, en lui donnant confiance, en n'attendant rien de lui surtout. Il donne ce qu'il a à donner, si on en demande trop il n'osera pas revenir de peur de ne satisfaire.


Les jambes ont un coup de fatigue quand arrivent au loin des dizaines de bêtes sanguinaires ! Oui ! Les plus féroces de l'Arctique ! Qui n'ont qu'une hâte : me dévorer ! Je cherche autour de moi où fuir, si fuir est encore possible ! Je tente bien par mille contorsions de ruser : courir avec le vent de dos, imbiber une feuille de mon odeur et la déposer dans un endroit dont je m'éloigne d'un pas pressé ! Du sang Sioux coulerait-il dans mes veines à ce moment-là ? Je parviens à gagner du temps mais en voyant l'immense vallée se dessiner devant, je sais que cet effort ne sera pas suffisant ! Ah ! J'ai bien mon couteau avec moi, toujours, mais de quelle utilité serait il face à cette vingtaine, que dis-je, cinquantaine de prédateurs ! Désormais encerclé je n'ai d'autres choix que de faire face à mon sort... Dopé par une poussée d'adrénaline, j'en abats quelques-uns avant de me frayer un chemin et de fuir cette vallée maudite par l'affleurement rocheux qui sied à ma gauche... Là-haut, la rixe reprends de plus belle, ils veulent venger leurs camarades morts et se jettent aveuglément sur moi dans une fureur telle que, débordé, je suis pris aux bras, à la gorge, au visage... Je cours, cours, entrevois la grotte obscure de Bing... Non je ne peux me réfugier ici, qui sait ce qui vit dans le noir ? Après un dernier assaut qui se solde par la mort d'innombrables de mes poursuivants, les moustiques abandonnent leur traque me laissant mutilé.
À défaut d'événements épiques au cours de ce voyage, il fallait bien en en transformer un, sinon on s'ennuie, non ?)


Mes journées sont longues… Je désire toujours aller plus loin... Mais le corps fatigue et il faut penser au retour...
D’ailleurs, en y repensant, gamin, les balades à pieds m’effrayaient un peu et j’y allais plutôt à reculons, ou inversement, j’y allais au pas de course quand je me savais proche de la ligne d’arrivée (enfin fini m’écriais-je !).
Mais au fil du temps, ou du moins au fil des pas, cet esprit de liberté, qu’on retrouve en nul autre moment qu’en vadrouille, m’a séduit. Il m’offrait l’insaisissable, l’équilibre et l’harmonie. Il me permettait de lâcher prise.
A chaque foulée, le monde s’offrait : de cette fleur qui s’accroche désespérément à la vie à flanc de falaise à ce gypaète défiant Eole, je m’attachais à la respiration de la Terre, à ses battements de cœur, à ses sourires et à ses larmes.
Bon. Assez de blablater dans le vide. Il faut que je rentre reposer ces petites jambes qui doivent encore résister aux deux prochains jours...
Quand j'arrive en ville (non je ne vais pas refaire Starmania), les chiens, alertés par mon retour, se dressent tous créant en apparence une haie d'honneur qui en réalité s'apparentait plutôt à une haie d'horreur dans mon esprit.
La douche... L'un des meilleurs moments de la journée... Je m'affale sur le lit avec une folle envie d'écrire... Le problème c'est qu'il me manque un thème... Un thème j'en aurais bien un si je ne m'obstinais pas à toujours le mettre de côté et attendre qu'il disparaisse... Mais à vrai dire... Je doute qu'il disparaisse un jour... Alors un soir il faudra que je lui fasse face... Mais patientons encore parce qu'à dire il y a trop... Et si je commence maintenant, je doute pouvoir dormir cette nuit.


D'habitude, en voyage, je ne pense à rien d'autre qu'à l'accomplissement de mes journées, la solitude ne m'atteignant alors nullement. Mais là c'est différent, sans doute est-ce la première fois en voyage que cette dernière se fait ressentir... Qui plus est accentué par mon proche retour en France. Je ne sais pas pourquoi ici maintenant + qu'avant ailleurs... Je songe à cette bonne fée bavarde et sensible dont la joie de vivre communicative nous fait culpabiliser si nous manquons de lui sourire, à cette bibiche protectrice et terriblement douce encore papa, à ce yaourt nature sans sucre ajouté bien plus charmant qu'il ne le croit et dont la folle imagination et la philosophie de vie donnent du baume au coeur, à ce brun ténébreux silencieux et décalé sur les bords (après tout c’est un mathématicien) mais attentif à ceux qui l’entourent et qui construit sa vie aux côtés de sa douce dont j'espère que les aléas professionnels le tiendront proche, de cet éternel papy qui nous rappelle qu'il ne faut pas juger sur les apparences parce que derrière son côté ours terré dans sa tanière se révèle quelqu'un de profondément drôle et attachant, à mymy cette machine qui a bien cru se dérégler mais c'était sans compter cette hargne à vouloir se relever de nouveau et vite le Cervin n’a qu’à bien se tenir, et surtout à mes parents qui ont dû être bien soucieux lors de ce séjour et que j'aime tant (on le dit que trop rarement).
Dans cette chambre froide, je pense à chacun d'eux et me sens moins seul... Je me retrouve à rire et à sourire. Merci.
Il est certain, qu'ils participent, tous, à différentes échelles, à mon éclat...
D'abord les nouvelles de Conan Doyle, puis les chansons de Berger parviendront à dissiper mes pensées m'ouvrant les portes du sommeil.
Dernière journée à Qasigiannuit... Avec le soleil !
L'objectif du jour est de ne pas se mouiller les pieds : je rentre tard et demain le retour en France va être long donc nulle envie d'avoir les chaussures détrempées.
Évidemment, un passage de gué avec une pierre instable réduira tous mes espoirs à néant.
Je marche désormais avec un glaçon au droit de chacune de mes deux jambes.
Au coeur de ces falaises et lacs, torrents et tourbes, cormorans et campanules, l'appel de la nature se fait plus grand.
Parmi ceux qui ont répondu à cet appel, pas un ne regrette, me semble-t-il. Au contraire, loin d'elle, l'appel est d'autant plus fort qu’il les pousse à y retourner pour s'y perdre de nouveau. C'est l'appel de la nature.
Alors certes parfois, pris par le vent, la pluie, le froid, la fatigue, la peur... On se demande bien ce qu'on fait là... Mais la réponse est évidente.
A croire que la nature teste notre volonté et se dévoile à qui le mérite réellement.
"Never stop because you are afraid. You are never so likely to be wrong."
Fridtjoff Nansen
Sur le chemin du retour, j'essaie de sonder mes pensées et me rappeler chacun de ces derniers jours d'Ilulissat à Qeqertarsuaq puis Oqaatsut et Eqi sans éluder Qasigiannuit.
Je me délecte de tous ces moments passés que mon coeur ne saura oublier.
Retour à Ilulissat en bateau sous un joli coucher de soleil offrant un bel orangé sur l'eau et les icebergs tandis que le ciel se teint en rose... Voilà une magnifique vision avant de quitter cette région du monde.
Au loin, le soleil incandescent disparait pour mieux se lever dans une autre région du monde...

