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Potosi
28/07/2025 (Jour 3)
La gare routière étant très loin du centre, nous nous arrêtons en cours de route et entamons la marche. À cette altitude (un peu plus de 4000 m), avec le poids des sacs, cela demande un certain effort mine de rien mais je suis rassuré par notre rythme. A la maison le poids du sac me semblait insurmontable, ici il me semble bien s'intégrer au rythme du corps.
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Le premier regard sur Potosi n’est pas fameux. Déjà depuis le bus, l’immensité de ces édifices en briques me stresse. Un désordre innomable, un chaos qui semble tenir par miracle. Traverser la ville à pied ne corrige guère cette impression. Les rues s’ouvrent parfois sur des places sans vie, parfois sur des pentes escarpées où les façades vétustes se pressent les unes contre les autres.
La pollution me brûle la gorge, chaque respiration est un petit vol d'espérance de vie.
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Je peine à croire que Potosi ait pu égaler la beauté de Paris, Venise ou Amsterdam à son apogée. Comment en sont-ils arrivés là, à cette immensité chaotique et à ce désordre apparent ? Pourtant, au cœur du centre historique, certaines façades trahissent encore cette grandeur passée : balcons ciselés, frontons sculptés, portes massives qui semblent raconter la richesse accumulée par le minerai et le travail des hommes.
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Au-dessus de la ville s’élève le Cerro Rico, la « montagne riche », ventre d’argent qui fit la gloire de Potosi et son malheur. On la voit depuis presque partout, bosselée, rouge et poussiéreuse, percée de galeries comme un vieux gruyère qu’on aurait trop entamé. Les Espagnols y ont puisé des siècles durant de quoi bâtir des empires. Depuis, le pays n’a jamais cessé d’en tirer les derniers filons, comme si sa survie même dépendait encore de cette montagne épuisée.
Aujourd’hui, le risque d’effondrement est bien réel. Les géologues s’en inquiètent, les rapports s’empilent, mais les mineurs n’y croient guère ou plutôt ils n’ont pas le luxe d’y croire. Si la montagne venait à s’écrouler, c’est leur monde entier qui s’effondrerait avec elle. Alors ils continuent de creuser, d’allumer leurs lampes frontales, de descendre dans les galeries branlantes en priant.
La ville vit suspendue à cette illusion de la ressource infinie. Du haut de ses 4 000 mètres, Potosi semble guetter le moment où la montagne, lasse d’être fouillée, réclamera son dû.
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Les portes du couvent de Santa Teresa s’ouvrent avec une bonne demi-heure de retard. La guide nous avertit d’un ton qu’il fera froid à l’intérieur. Nous rions pensant que la visite sera courte. Deux heures plus tard, tremblants de froid, nous errons encore dans les pièces de ce monastère.
Fondé en 1685, le couvent abritait autrefois les filles des familles les plus aisées de Potosi. Elles entraient ici très jeunes, promises à une vie de silence et de prière, coupées du monde que la montagne d’argent enrichissait à outrance. Les sœurs carmélites vivaient dans un dépouillement presque total, leurs seules ouvertures sur la ville étant ces grilles de fer forgé derrière lesquelles elles pouvaient apercevoir, sans le toucher, le tumulte extérieur. On raconte que, jadis, la beauté des jeunes novices faisait murmurer les rues alentour, mais que leurs visages s’effaçaient vite dans la pénombre des chapelles. Le lieu a rétréci depuis, amputé par le temps et les révolutions successives, mais est toujours habité par quelques sœurs.
La guide parle d’une voix basse, d'abord en anglais puis en français vu la nationalité des touristes venus gonfler les rangs.
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Après cela nous filons à la Iglesia San Lorenzo. Sur le chemin on croise deux mascottes déguisés en tigre/zèbre. Il s'agit de volontaires pour aider les jeunes à traverser les routes.
Revenons-en à l'église.
Sa façade baroque impressionne, chaque centimètre est sculpté, saturé d'anges, de masques et d'animaux étranges. Construite au XVIIIème siècle, l’église fut l’un des rares lieux où les mains indigènes purent s’exprimer librement. Les tailleurs de pierre que les Espagnols employaient pour décorer les temples du Nouveau Monde ont mêlé à la rigueur catholique leurs propres symboles : visages solaires, totems andins, créatures mythiques venues des traditions précolombiennes.
​L'intérieur en revanche ne présente guère d'intérêt.
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Dernière visite au temple de San Francisco. Ses murs ont pris la teinte de la poussière alentour, et l’on sent en y entrant tout le poids des siècles. C’est l’une des plus anciennes églises de la ville, construite par les franciscains au XVIème siècle, quand Potosí brillait encore de son argent et de son orgueil.
L’austérité de l’ordre transparaît dans l’architecture : épaisse, sévère, sans fioriture.
À l’intérieur, la lumière entre en filets discrets. Elle s’accroche aux autels dorés, aux anges ternis, à ces visages de saints dont la peinture s’effrite. L’air y est froid, ici aussi. Derrière ces grandes verrières, je ne peux que constater une beauté usée, celle d'un lieu qui a tout connu et qui ne demande rien.
Mais c’est sur le toit, au mirador, que la visite prend tout son sens. On y accède par un escalier de pierre aux marches inégales. Les tuiles aussi sont inégales, apparemment moulées à même les cuisses des ouvriers d'antan.
Ce n’est pas sans joie que je m’endors ce soir-là, avec l’idée de rejoindre enfin ces grands espaces dont la seule évocation m’avait porté depuis le départ. Potosi m’a étouffé. Son air saturé de pollution, son vacarme, cette masse humaine en mouvement perpétuel… tout cela m’écœure. La ville semble s’être refermée sur elle-même, prisonnière de sa propre agitation.
J’ai hâte de fuir. De quitter les murs, les moteurs, le tumulte. De me perdre enfin dans l’immensité nue, là où le vent nettoie les pensées et où la solitude devient une confidente. J’en rêve déjà : un horizon sans limite, un ciel immense, le silence pour seul langage. Après tant de pierres et de fumées, il est temps de respirer à nouveau.

