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Lac Titicaca

 

12-16/08/2025 (Jours 18-22)

 

La nuit a été mauvaise. Des fêtards ont envahi l’hôtel et les gérants, désolés au matin, nous expliquent que la situation leur a échappé.

 

Le mari s’affaire pour que le petit-déjeuner soit parfait, comme une façon de se racheter. Par la suite, depuis le balcon il scrute la route et guette notre bus pour Copacabana. Lorsqu’il l’aperçoit enfin, il nous fait signe d’un grand geste. Nous attrapons nos sacs et quittons l’hôtel avec hâte. Le bus s’arrête tant bien que mal en sortie de virage, pas vraiment l’endroit idéal, mais qu’importe. Nous grimpons à bord et reprenons la route.

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Le passage du détroit de Tiquina peut surprendre : les bus montent sur de grandes barges en bois, brinquebalantes, tandis que les passagers traversent sur de petits bateaux. Tout semble à la fois calme et en déséquilibre, comme si le monde hésitait entre deux rives.

De l’autre côté, le bus s’élance dans une succession de virages serrés. La route serpente sans fin, épousant les reliefs, et je sens poindre le mal de coeur. Alors je me concentre sur le paysage qui défile, sur ces montagnes qui s’éloignent, sur le lac immense qui scintille. C’est étrange de se dire que nous étions encore là-haut hier, seuls, et qu’à présent le monde grouille de nouveau autour de nous.

 

Nous atteignons Copacabana à midi. Sur le rivage s’amoncellent des bouées colorées, des pédalos. Marie sourit : on dirait la kermesse, dit-elle. L’expression résume tout. Après tant de silence, ce vacarme joyeux nous paraît presque irréel.

 

Nous gagnons l’hôtel à pied, posons nos sacs une dernière fois. L’air ici est plus doux. Le lac respire, la lumière s’y reflète sans fin. Nous sortons pour faire quelques courses, notamment une paie de chaussettes pour moi. Les anciennes n'étant plus que des reliques, almagame grotesque de compeed qui a fusionné avec le tissu. Le commerçant m'interroge sur la France puis finit par me demander si je connais Mbappé. Cela me fait sourire qu'un nom puisse voyager jusqu'ici, à Copacabana. Au port, Nous en profitons pour réserver le bateau pour l'île du Soleil dans deux jours. 

 

Le lendemain nous remontons vers la cathédrale, nous tombons sur une scène irréelle. Les voitures font la queue, pare-chocs contre pare-chocs, non pas pour un contrôle technique ou un plein d’essence, mais pour être bénites. Des stands de fortune vendent des fleurs, des rubans, des figurines de la Vierge, des guirlandes, des maquettes de voitures en plastique et tout un bazar sacré.

 

Les conducteurs sortent, lèvent le capot et y déposent, pêle-mêle, des statues, des bouteilles, des jouets. Le prêtre passe de l’une à l’autre, un goupillon à la main. Quelques mots rapides, un signe de croix, puis un jet d’eau bénite sur le moteur, à l’intérieur, sur les portières. Dix bolivianos changent de main et la voiture suivante s’avance. Certains, pour compléter la cérémonie, vident des bouteilles de soda sur leur véhicule. Tout cela nous laisse bouche bée. La ferveur, la musique, les rires, les couleurs, tout vibre dans un chaos joyeux.

 

Nous rejoignons un petit restaurant de ceviche, fréquenté par les gens du coin. Rien de touristique ici, quelques tables en plastique, une radio qui grésille, des assiettes généreuses. Le repas est simple et bon. Nous mangeons en silence, en observant la vie reprendre son cours autour de nous.

 

En regagnant notre hôtel, une fatigue douce me gagne déjà. Le trek appartient déjà à une autre temporalité, celle des souvenirs qui commencent à sédimenter.

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Nous embarquons pour l’île du Soleil. La traversée dure un peu plus d’une heure, le bateau file lentement sur les eaux bleues du Titicaca, d’un bleu si dense qu’il semble absorber le ciel.

 

Le lac Titicaca est selon les Incas le commencement du monde, le miroir du ciel et de la terre. Avant que la lumière ne soit, disent-ils, il n’y avait que des ténèbres. Puis du coeur de ces eaux calmes, le dieu créateur Viracocha serait sorti. De ses mains, il aurait façonné les montagnes, les animaux, les hommes. Quand ces derniers se perdirent dans la violence, il fit déferler un déluge pour purifier la terre avant de tout recommencer. C’est encore des eaux du Titicaca qu’il fit surgir Manco Capac et Mama Ocllo, enfants du Soleil, chargés d’apporter la civilisation aux hommes. Munis d’un bâton d’or, ils marchèrent jusqu’à ce qu’il s’enfonce dans la vallée du Cuzco, désignant le centre du monde inca.

 

Au milieu du lac, l’île du Soleil est considérée comme le lieu exact de cette naissance. On raconte que le dieu Soleil y posa pour la première fois le pied sur terre, illuminant le monde après les ténèbres. Les Incas en firent un sanctuaire, un lieu réservé aux prêtres et aux nobles venus célébrer Inti (Dieu Soleil). Les ruines du Temple du Soleil témoignent encore de cette ferveur : des murs de pierre, des escaliers cérémoniels, des terrasses suspendues au-dessus de l’eau.

Un peu plus loin, l’île de la Lune prolonge le mythe. Elle aurait été le domaine de Mama Quilla, la déesse Lune, épouse du Soleil et gardienne du cycle du temps. Là vivaient les "Acllas", des jeunes femmes choisies pour servir les dieux, tisser les étoffes sacrées et préparer les offrandes. Leurs gestes, leurs chants, leurs prières rythmaient la vie du sanctuaire.

Ensemble, les deux îles formaient un équilibre sacré : le Soleil et la Lune, le jour et la nuit, la force et la douceur.

 

Mais au-delà du mythe, le Titicaca est aussi un lieu d’histoire. Bien avant les Incas, d’autres civilisations comme les Tiwanaku et les Pukara avaient déjà élevé des temples et cultivé les rives de ce haut plateau. Les Incas n’ont fait que reprendre ce centre spirituel ancien pour y ancrer leur propre cosmogonie. Aujourd’hui encore, les archéologues découvrent dans ses profondeurs des offrandes d’or, de coquillages et de céramique, laissées là pour apaiser les dieux du lac.

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À mesure que nous approchons, les silhouettes des maisons se détachent sur les pentes dorées. Les habitants attendent le bateau avec leurs ballots, les touristes avec leurs sacs. On débarque sur un petit quai, puis tout de suite la montée commence par les escaliers, vestiges inca. Le lac s’étend derrière nous, les montagnes enneigées de la cordillère royale ferment l’horizon. Le vent est froid, le soleil tape, c’est une étrange combinaison : la peau brûle tandis que les mains gèlent.

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Nous serpentons l’île, d’abord jusqu’au Temple du Soleil, avant d’emprunter les sentiers côtiers. Difficile de croire que nous sommes encore en Bolivie, les villes de Sucre et Potosí ne semblent déjà plus qu’un souvenir effacé. Le voyage a fait son oeuvre, celle de distordre le temps.


Nous déjeunons sur une terrasse accrochée au flanc de la colline, le regard plongé dans l’immensité du lac. Tout semble suspendu, silencieux.

 

L’après-midi, nous suivons la route Inca pavée qui court jusqu’à la partie nord de l’île. Aujourd’hui, deux communautés se partagent l’île : l’une détient la majorité des terres, l’autre contrôle l’embarcadère principal. Rivalités anciennes, comme si même ce lieu né des dieux n’échappait pas aux querelles des hommes.


Nous regagnons Copacabana au soir, la lumière du couchant s’étirant sur le lac.

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Journée de flânerie, de lenteur assumée. Nous déambulons dans les rues de Copacabana, à capter des fragments de vie avec ces femmes assises sur le trottoir, chapeaux vissés sur la tête, observant le flot tranquille des passants. Rien ne presse.

 

Le lendemain, retour vers La Paz. Jour d’élections présidentielles. La route déroule lentement à travers le pays. Les paysages défilent, tout semble inchangé depuis des siècles et pourtant se joue aujourd'hui une autre histoire, celle d’un pays suspendu entre pauvreté et promesse de richesse.

 

Ici, voter est obligatoire, mais l’espoir n’a plus la même vigueur. On sent la résignation, cette lassitude tranquille de ceux qui savent que les urnes ne changent ni la montagne, ni la vie rude qu’impose la terre. La Bolivie dort sur un trésor, l’un des plus grands réservoirs de lithium au monde. Il suffirait d’une bonne gouvernance pour que le pays s’enrichisse comme d’autres jadis grâce au pétrole. Mais qui saura transformer cette manne en justice, en routes, en écoles, en avenir ?

 

Le bus grimpe vers l’aéroport et déjà la poussière du voyage retombe. Dans le rétroviseur du temps, il reste l’empreinte des cimes, des visages, des silences et ce sentiment doux-amer que tout voyage s’achève au moment même où il commence à se comprendre.

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PS : À l’aéroport de La Paz, une petite surprise nous attend : notre avion est soumis à une fouille anti-drogue. Marie est appelée par haut-parleur pour se rendre sur le tarmac avec la sécurité. Un instant, nous craignons que ce soit le sachet de médicaments qui pose problème. Le soulagement arrive quand elle reconnaît mon sac et non le sien. Les affaires de trek sont sorties et scrutées par un chien qui semble plus intrigué par l’odeur accumulée après dix jours de marche que par autre chose. Pas de drogue au programme, juste mon équipement malodorant. Marie revient mais nous ne sommes pas encore près de décoller. Chaque valise et sac passe devant le chien, en file indienne, comme une procession discrète. Finalement nous décollons avec un retard conséquent qui nous fera rater notre correspondance à Madrid. Une mésaventure anodine qui clot cette avanture andine.

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«Le plus grand voyageur n'est pas celui qui a fait dix fois le tour du monde. Mais celui qui a fait une seule fois le tour de lui-même.»

Gandhi.

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