
Trek du lac Atitlán à Xela
02-04/01/2022 (Jours 6 à 8)
Début de notre trek de 3 j vers Xela. On se presse de petit déjeuner de peur d'arriver en retard au point de rendez-vous avec le guide et de débuter la marche sous les grosses chaleurs... ce n'était pas sans prendre en considération l'absence de ponctualité ici. Nous démarrerons le trek 1h30 après ce qui était prévu et sommes rejoints par Luna, une hollandaise.
Le trek débute à San Juan, plus calme que San Pedro mais dont l'intérêt reste encore une fois discutable... Qui a dit déjà que c'était le plus beau lac du monde ? Passons.
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On rejoint El Nariz del Indiano (ou désormais El rostro del Maya, appellation jugée moins raciste). Tout au long de la montée, les points de vue sur le lac et les volcans le bordant s'enchaînent.

On poursuit jusqu'à Santa Clara où l'on déjeune. Rassurés d'avoir du poulet et de manger un peu plus que lors du premier trek.
La seconde partie de la marche se fait d'abord à travers la ville Santa Clara puis le long d'une piste en terre encaissée. Pour ma part il me tarde d'arriver tant l'absence de paysage étendu me manque.
Au sommet de la côte, au milieu de nulle part, une maison : le guide nous arrête là.
C'est ici que nous passerons la nuit.
Petits haricots rouges (ou "frijoles") au petit-déjeuner, un classique ici...
Un bruit digne d'un A380 au décollage nous attire dans un coin du jardin. Il s'agit de la machine pour faire les tortillas : les grains de maïs sont ajoutés par le haut, de l'eau y est ajouté, l'ensemble broyé ressort par le bas et fini pétri à la main. Plus tard la pâte sera aplatie et mise sur le poêle.
Le ciel clair nous permet enfin d'apprécier les reliefs nous entourant. Au loin, au delà de la plaine située en contrebas, le Pacifique.
Le trek se poursuit le long d'une route, des pick-up chargent des locaux allant travailler on ne sait où. On se demande d'ailleurs parfois d'où ils sortent.
Enfin, on s'enfonce dans la forêt dense qui offre une relative fraîcheur.
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Le pas léger, nous traçons notre chemin en ne gardant en tête que l'odeur de la forêt humide, le bruit des singes moqueurs, la caresse du vent.

Le soleil verse sa gerbe à travers une passoire de feuilles, les branches noueuses sous lesquelles nous marchons poussent sans mesure. Tout autour de nous, ce sont des arbres, des branchages emmêlés, tachés de mousses.
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Le guide nous explique qu'on n'ira pas au Zunil en raison des villageois qui se battent entre eux pour des questions de territoire dans les environs. Il en est de même pour le Tajamulco nous dit-il... on comprend désormais pourquoi les agences de trek avaient refusé de nous emmener.
Il y a deux semaines de ça, trois familles ont été assassinées : une vingtaine de personnes ainsi qu'un policier. Depuis, l'armée fouille la jungle pour trouver les assassins... sans doute en vain. Plus de 95% des crimes sont non résolus dans le pays.
Lors de la traversée des villages notre présence intrigue, les gens nous saluent avec un grand sourire. Souvent, on voit des épis de maïs séchés soit sur les toits, soit à même le sol.
Coincée dans l'écorce d'un arbre, une douille. "C'est pour prévenir" assure le guide "mais ce n'est pas contre vous, c'est pour les autres villageois".
Espérons qu'il n'y ait pas de balle perdue...​​


Au coeur d'un village perdu dans cette forêt épaisse, une vieille dame se tient avec un bâton, adossée à un mur. Elle nous regarde. Surprise, bonheur et timidité se mêlent dans son regard. Sa petite fille, plus timorée, la rejoint, jouant à cache cache. Il était presque midi et le soleil écrasait les ombres. La grand-mère se tenait immobile, tels à ces arbres centenaires à l'écorce sculptée par le temps. Sans doute n'avait-elle jamais quitté sa province, la seule chose d'en-dehors qu'elle verra n'est autre que ces trekkeurs étrangers que nous sommes. Plus loin, un homme amasse du bois, il semble lui aussi insubmersible malgré sa fébrilité apparente. Leurs corps fatigués par le labeur, leurs dignités ne sont pas négociables.
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Une longue montée s'ensuit. On ruisselle sous cette chaleur et cette humidité. On s'arrête déjeuner un moment, près d'une maison abandonnée, sans trop s'éloigner dans les buissons qui renferment de dangereuses couleuvres.
C'est avec un sandwich thon en guise de gâteau d'anniversaire et un briquet en guise de bougie que Marie fête sa nouvelle année.
Peu à peu nous émergeons de la vallée. On est fort bien accueilli par Manuela chez qui nous passerons la nuit.
Elle nous propose de prendre une douche ou de tester le "sauna guatémaltèque". Ce dernier consiste en une toute petite pièce cubique dans laquelle un feu est d'abord fait. Dans la pièce chaude sont alors ajoutées une bassine d'eau froide et une d'eau chaude afin de se laver. La vapeur fermée dans la pièce maintient une température chaude.
Étant quelque peu claustrophobes nous ne tenterons pas l'expérience...


Pour fêter dignement l'anniversaire de Marie, on est en quête a minima d'une bière. Mais première surprise, rien à la seule tienda (épicerie du coin).
Quand on demande au guide il nous répond qu'il n'y en a nulle part dans le village qui, étant chrétien, ne boit pas d'alcool. Seconde surprise.
Le mari de Manuela se propose d'aller en chercher dans le village voisin, situé à plus d'une demie heure de marche !
Lors du dîner, le guide nous explique que l'école n'est pas obligatoire ici : c'est aux parents de décider si leurs enfants y vont ou non. Malheureusement, le manque d'écoles et leurs coûts limitent fortement l'accès.
S'ensuit, on ne sait trop comment, un long monologue sur la guerre civile qui ensanglanta le pays pendant près d'un demi siècle.
A la sortie de la seconde guerre mondiale, une révolution pousse au pouvoir un président socialiste. Alors que durant des décennies le pays servait les intérêts US et leurs multinationales, voilà qu'un président cherchait à diminuer les inégalités sociales. Notamment en redonnant des terres aux paysans guatémaltèques plutôt qu'à des entreprises étrangères. Lorsque le second président poursuit cette stratégie les États-Unis y voient une "menace communiste" non loin de chez eux et puis surtout... une menace économique. D'ailleurs, le patron de la CIA est actionnaire d'une grande entreprise américaine basée au Guatemala qui soufre des nouvelles politiques. Il n'en faut pas plus, les US forment des centaines de villageois pour renverser le pouvoir en place. C'est le début de la guerre civile.
Le nouveau président, placé par les américains, abrogea les précédentes politiques et exproprient les terres des paysans au profit des multinationales. En parallèle une chasse aux communistes est lancée. C'est le début des massacres, d'abord politiques puis peu à peu ethniques. Les paysans s'organisent pour former des groupes d'autodéfense tandis que l'état encourage les escadrons de la mort. La paix est retrouvée en 1997 alors que 200.000 personnes ont été massacrées, que des centaines de villages ont été brûlés.
Près de 80 % des victimes sont mayas.
Le guide nous raconte que le sentier qu'on a pris aujourd'hui était autrefois emprunté par les soldats et les guérilleros. Que quiconque parlant sur le passage des uns et des autres risquaient d'être exécutés.
Que pense le guide de la paix ?
"C'est une bonne chose, mais bon maintenant tout le monde a des droits... les femmes, les chiens, les chats... bref... et puis les criminels se retrouvent en prison et sous prétexte des droits humains ont la télé, un toit, à manger alors que des innocents n'ont rien de tout ça. Il est interdit de faire justice nous-même alors qu'avant quand un criminel était attrapé il était lapidé et tué."
Ayant compris don point de vue, on ne cherchera pas à creuser davantage...
Sur un sujet plus léger, le guide raconte qu'il aura bientôt l'eau courante chez lui pour la première fois de sa vie. Jusqu'à présent il se levait à 3h du latin pour aller chercher l'eau pour la journée. Ça remet quelques idées en place...
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Sur ces belles paroles de massacres, de viols, de génocide... nous allons nous coucher !

Nous reprenons lentement la marche vers Xela, le sentier devient piste. Le guide nous rappelle que cette fois-ci on doit traverser le village sans s'arrêter.
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Je pense à la discussion de la veille, tout en observant notre guide, toutes ces tortures subies ou vues. Il trace sa route, avec son pas régulier, sans en vouloir à personne semble-t-il, en ne gardant qu'en tête l'odeur de la forêt humide, le bruit des singes moqueurs, la caresse du vent tout en pardonnant au marasme de la vie. Il rigolait et s'amusait d'un rien, sans mélancolie aucune, éternel spectateur amusé devant ce monde qui change… et sur qui le temps même n'a aucune emprise.
Son credo ? Rester digne dans la lumière et dans l'ombre, comme si tout n'avait été que farce, comme si à chaque nouveau jour il renaissait, oubliant la veille, ne sachant s'il verra demain. Il levait son verre à ce qui est, plutôt que de songer aux verres qui sont tombés et qui continueront de tomber. Libre, il vit et chérit chaque moment instantané de la vie.
Avec cette nouvelle année, et face aux attaques de la nostalgie qui peuvent être plus nombreuses qu'à l'accoutumée, je me dis qu'il y a une idée du bonheur dans ce regard. Le fait de vivre dans le présent, et ce, avec la même innocence que l'enfant.
Malgré qu'on soit sans cesse rattrapé par le passé, sans cesse attiré vers le futur, à quitter ce qui n'existe plus pour embrasser ce qui n'existe pas encore, on devrait préférer fabriquer les moments plutôt que de les revivre ou de les rêver.
Il ne faut pas perdre ça de vue : revenir au bonheur de ce que l'on a.
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"Vous verrez, ici c'est pas comme dans les autres villages, les enfants ne vous souriront pas, ils vous demanderont de l'argent."
Au loin, la brume se plaît à lisser les alentours, les fantômes de quelques bâtiments surgissent au loin. Nous arrivons à Xela.
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Après un malentendu avec le guide, le chauffeur de taxi et autres... on est débarqué au beau milieu de Xela, après une petite discussion plus ou moins courtoise on est finalement débarqué à la Place Centrale. Cette place est sans doute le seul point d'intérêt de la ville et ce n'est pas sans empressement qu'on se hâte de refaire nos sacs et attraper un Uber pour rejoindre l'hôtel.
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Demain, on délaisse cette partie du pays, connue pour ses reliefs, pour rejoindre le nord, réputé pour sa jungle et ses sites mayas.