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Dôme des Ecrins (4015 m)
30/06/2019 -> 06/07/2019 | Initiation à l'alpinisme
Cette semaine je fais mes premiers pas en alpinisme avec mon amie… Ce monde si particulier qui côtoie les montagnes comme nul autre en offrant de véritables morceaux d’existence.
L’objectif de la semaine est l’ascension du Dôme des Ecrins (4015 m), course de neige typique accessible aux débutants... Mais bien que cela soit « facile », cela nécessite un minimum de préparation pour nous n’ayant jamais chaussé de crampons ni même porté de piolet.
Ainsi la semaine, sous la supervision d’un guide de hautes-montagnes, sera divisée en deux parties, l’une dite de préparation où l’on apprend les techniques de bases en s’initiant à la pratique dans différents types d’environnements (neige, rocher, glace), l’autre de mise en pratique au travers d’une course d’acclimatation puis de l’ascension du Dôme des Ecrins.
C’est au Rocher du Bez puis dans le massif des Cerces que nous réalisons l’école d’escalade, de quoi réviser certaines choses, mettre en pratique des manipulations qu’on avait pu m’expliquer de vive voix et tout simplement découvrir l’assurage en dynamique. Bien que cette école constitue pour nous deux beaucoup de redite, c’est une étape essentielle avant d’entamer la suite sur neige… Où l’on use des mêmes techniques d’assurage. Et puis, j’oubliais, c’est l’occasion aussi d’évoluer au cœur d’un très beau massif qui invite à la randonnée, au bivouac et… je dois admettre que la via ferrata de l’Aiguille du Lauzet me fait de l’œil… J’aimerais y retourner un jour…
Côté météo on est chanceux : soleil la journée, orage le soir une fois rentré !
Le soir je songe un peu aux différents nœuds et manipulations de relais, rappel, et autres, sans compter à tous ces petits conseils de guide lancés au détour d’une phrase… Tant d’informations à retenir… Demain on file dans le parc des Ecrins pour réaliser la dernière journée d’école et passer à la mise en pratique…
J’ai hâte !
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Arrivé au Pré de Madame Carle (1874 m), après avoir récupéré tout le matériel nécessaire et chargé les sacs de nourriture pour ces trois prochains jours. Le décor est magnifique et emprunte des airs aux Rocheuses. Le Pelvoux se dresse menaçant et majestueux, ma fascination pour lui ne cessera de croître… me donnant envie d’aller là-haut un jour. Encore une bonne raison de revenir…
Au refuge du Glacier Blanc (2542 m), on allège les sacs et filons en école de neige et glace. Apprendre à cramponner efficacement, à bien positionner son pied sur le terrain, avoir l’œil pour éviter les pièges, gérer les anneaux de buste en fonction des besoins, prendre confiance en son piolet, plantage de broche à glace… Les informations filent et je commence à perdre mon latin. Et puis… Ce n’est pas comme à l’école… On ne peut pas se satisfaire de la moyenne ici ! C’est 0 erreur ou rien !
De retour au refuge on prend place dans le dortoir… Il ne va pas falloir se péter la gueule pendant la nuit ou à la descente ! Intimement, on croise tous les doigts pour éviter d’avoir un ronfleur avec nous… C’est précieux le sommeil, qui plus est en montagnes !
Le lendemain départ à 5 h du matin pour une course d’acclimatation au Pic du Glacier d’Arsine, course mixte, permettant de vérifier les connaissances de chacun et de réviser les bons gestes.
Etrangement, moi qui appréhendais le départ de nuit sous frontale, je dois admettre que cela à un avantage : le cerveau encore endormi, le temps passe plus vite et la côte semble plus aisée. Les manipulations d’encordement se font intuitivement, un pas devant l’autre, la cordée fait mouvement. Peu à peu l’aube, avec ses nuances violacées, apparaît tandis que le glacier arbore peu à peu sa robe blanche et dévoile ses cicatrices.
Dans la montée je sens le cœur qui s’emballe, je prends peur pour demain « arriverai-je seulement à arriver en haut et à ne pas pénaliser le groupe ». Surtout que derrière moi se dresse le Dôme avec sa forme si caractéristique, si imposante en fond de glacier. Certains me demandent si je vais bien, souffle court j’entends le guide dire en riant « regardez il récupère vite, un vrai cœur de sportif ! ». S’il savait… Mais en effet, me voilà déjà avec une respiration habituelle tandis que Gastonnette la marseillaise nous rejoint.
De temps à autre je regarde le vide, je me rappelle de la seule règle qui vaille en montagnes « ne tombe jamais ». Plus facile à dire qu’à faire ! Une erreur d’inattention suffit et en ce sens la pratique de l’alpinisme est aussi épuisante physiquement que mentalement parlant.
A la jonction neige/rocher chacun se méfie et fait attention aux potentiels trous. Soudainement, on entend les « abeilles », le guide sursaute… puis se rassure… Il s’agit d’un drone et non de l’orage. Les drones… Nouvelle pratique à la mode qui a le don de m’énerver…
L’arrivée au Pic du Glacier d’Arsine (3364 m) est récompensée par un superbe panorama sur les Agneaux, sur le Pelvoux, sur les Ecrins. Au loin, en contrebas, on aperçoit le refuge où l’on va passer la nuit prochaine. Il est 9 h du matin… On est tous déphasés pensant qu’il est 16 h… On croque un bout et savourons tous le moment avant d’entamer doucement la descente.
Se faire et se défaire… Les moments chiants.
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Citations de guide :
"Tout droit. C'est les Champs Elysées là."
"Maintenant c'est maintenant, demain c'est demain."
"A chaque jour suffit sa peine."
"Perdre 30 min pour durer longtemps."
"Et là tu vois, c'est clairement la merde."
"C'est simple, la seule règle à retenir c'est qu'il ne faut pas tomber."
"Il va falloir débrancher son cerveau là."
"Un escargot sans coquille c'est une limace, alors n'abandonnez jamais votre sac."
"Ma grand mère disait que tout ce qui tombe du ciel n'est pas béni."
"Ma grand-mère disait 'il y en a ils ouvrent leurs gueules avant d'ouvrir leurs yeux."
"C'est un truc d'australopithèque ça."
"No stress."
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On rejoint le glacier blanc, demain on ira tout au bout mais cette fois-ci on s’arrête pour bifurquer vers le refuge : une montée bien raide de 100 m, histoire de finir la journée lactique… Et de s’abreuver à coup de petites bières bien désaltérantes avec vue imprenable sur une mer de glace !
Il est à peine 14 h quand chacun file à la sieste. Au réveil chacun vaque à ses occupations, discussions pour les uns, lecture pour les autres. Dîner servi à 18 h, l’occasion de récupérer de l’énergie avec en tête le réveil à 2h30 du matin… Le guide en profite pour nous faire le topo sur l’ascension et les risques, il nous rassure aussi sur nos propres capacités. Dans ces moments-là sa parole vaut d’or.
A 20 h tout le monde est au lit, je note quelques mots, trie mes photos, attendant que la fatigue m’emporte… Je dois avouer être agréablement surpris par le confort des deux refuges que l’on a connus…
Le dortoir s’excite dès 2 h… Je sors de mon sommeil et commence à me préparer… Le refuge est en état de siège… C’est une horreur… Les gens se poussent et se bousculent… J’attrape tant bien que mal de quoi manger… Je chope mes affaires et récupère mon équipement laissé dehors. A ce moment-là je comprends ce que disait le guide « en refuge, planquez votre équipement dehors pour les récupérer tranquillement, tout ce qui est chaussures et sac mettez le bordel pour éviter que quelqu’un ne parte par erreur avec ».
Je m’équipe à l’écart de la cohue, j’ajoute une couche puis en enlève une, j’éteins la frontale pour habituer mes yeux à la nuit et savourer la lueur de la voie lactée.
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Peu à peu, chacun se tient prêt, nous partons alors avalés par la nuit en trois cordées de deux le long du Glacier Blanc à l’assaut du Dôme des Ecrins.
Le logo du pantalon Simond d’Audeline, seconde de la cordée qui me précède, devient mon repère dans la nuit et fixe mon rythme. On avance en automates… De temps à autre on lève les yeux et voyons au loin les guirlandes lumineuses des autres cordées habillant le Dôme. Il y a quelque chose d’hypnotique d’avancer dans le noir et de ne voir que ce rond blanc éclairé par notre frontale.
« Qu’est-ce que je fous là ».
La neige gelée par le froid de la nuit craque sous nos pas, les frontales vacillent, peu à peu le blanc du Dôme se détache du bleu nuit du ciel… On lève la tête n’osant croire que notre objectif est tout là-haut… C’est 800 m de glace qui se dressent là, devant nous, à près de 4 h du matin. L’appréhension qui m’habitait depuis la veille se fait ressentir plus intensément.
A ce moment-là le guide donne des consignes, il faut ravaler la corde et ajouter des anneaux de buste, le tout en avançant pour pas perdre le rythme. Je me mets à stresser inutilement, défais les nœuds, planque le piolet à l’arrière, ravale une dizaine de mètres de corde pour amener mon second de cordée à quelques mètres de moi, me rends compte que le piolet est coincé sous les anneaux de buste, je jure et m’insulte, le piolet finalement dégager à temps j’entame la montée essoufflé. « Ça commence bien… »
J’étais impatient de cette ascension, impatient d’accrocher les premières lueurs matinales, naturellement je voulais photographier l’instant, mais j’étais trop concentré sur ce que je faisais, sur mon second de cordée. Je dégaine finalement peu l’appareil et apprends à regarder et à imprimer ces instants d’émotion… Il vaut mieux ça et ne pas se déconcentrer.
La sensation est étrange, quand tu vois ces séracs en équilibre, ou encore ces crevasses et d’avancer ainsi en imaginant à chaque pas le risque de chute, la mienne d’abord mais aussi le risque d’entraîner celle de mon compagnon de cordée.
C’est très différent de l’escalade où la question de la chute est relativement simpliste : la chute se fait toujours seul et sera toujours retenue par la vigilance du partenaire. Alors qu’ici, l’incertitude règne. Il n’y a pas de points solides fixés dans la montagne qui me retiennent, c’est ce partenaire de cordée relié à moi mon point fixe, tandis que je suis le sien. La montagne seule décide de quand interviendra la chute et avec qui.
Le soleil nous illumine enfin, les dizaines de cordées présentent dans la montée s’arrêtent toutes à l’unisson pour profiter du spectacle… C’est magnifique…
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Quelques passages compliqués ralentissent la progression, devant nous la cordée se fait de plus en plus hésitante, je profite d’un court instant de pause pour jeter un œil à la montre : « 3700 m allez il reste une petite heure ».
On atteint enfin la plateforme, ça fait bizarre de retrouver du plat… « Ecartez vos pieds la course n’est pas finie rappelez-vous ! Je veux voir les 10 crampons au sol ! » Le guide sentant bien qu’on se relâche nous rappelle la seule vérité qui vaille : tant que tu n’es pas redescendu la course n’est pas fini et tu ne peux pas te déconcentrer.
Mais quand même… L’émotion me gagne, me submerge, des larmes me parviennent, je vois ce sommet comme une revanche. C’est con en soi, mais c’est ainsi et j’en avais besoin.
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Et là… arrivés au bout de la plateforme, on lève les yeux, au pied d’une pente sévère de glace d’une trentaine de mètres de haut… « Oh putain je l’avais pas prévu ça ». Les larmes disparaissent d’un coup, le mental prenant le dessus face à cette difficulté imprévue.
Le guide fixe une corde libre et m’engage à la saisir : « une main sur la corde, l’autre sur le piolet, tu ne lâches ni l’un ni l’autre sous aucun prétexte, n’oublie pas ton second de cordée, tu ne dois pas tomber ».
Sans doute l’un de mes moments les plus stressants… De ces journées de préparation j’avais bien vu que la glace n’était pas un milieu dans lequel j’étais à l’aise… Et là je me tape cette glace, intérieurement je flippe à mort… Comment se dire qu’on tient alors que piolet et crampons s’enfoncent de quelques millimètres dans la glace ? Pire, comment se dire que ça tient si mon second chute ? J’évite d’y penser et veux me tirer de là au plus vite, j’accélère le pas venant presque à tracter mon binôme de cordée qui me demande de ralentir le rythme. Je m’arrête, lui laissant le temps de reprendre son souffle, l’acide me cuit les jambes et je doute pouvoir repartir. J’entends le guide trouver les bons mots au bon moment. Je lève les yeux et m’élance.
Cette fois-ci c’est la bonne, on est bel et bien au sommet… Il est 7h28, 2 min d’avance sur l’horaire annoncé la veille… Tous les massifs des Alpes se déploient sous nos yeux… C’est fabuleux… On distingue même le Cervin au loin !
L’excitation du sommet dure peu, on y reste 5 min à peine qu’il faut déjà redescendre… Quelque part c’est frustrant mais dans le fond on se dit que ce n’est pas la destination le plus important mais le chemin parcouru et il en va de même dans la vie.
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La descente est moins physique mais bien plus pète figure, à trois reprise je retiens la chute de mon second. On sent nos genoux subir, on a un peu tous hâtes de se retrouver en bas… Il reste près de 2000 m de dénivelé négatif à parcourir…
Une fois j’avais écrit qu’en montagne tout vibre avec une tonalité plus haute. J’avais oublié de préciser que c’était aussi le cas de la connerie humaine. A la descente quelques accrochages ont lieu avec d’autres cordées… Celle des 3 espagnols par exemple, qui décide de couper et d’aller vite tandis que celui qui est encordé au milieu ne cesse de tomber, ou encore cette cordée d’une dizaine d’allemands qui intercepte la nôtre, alors que le guide est en train d’installer un système d’assurage pour la descente, prenant le risque en glissant de tous nous emporter dans la chute… « No stress ! » lance sèchement notre guide. Il est si dommage de voir des comportements aussi irrespectueux là-haut.
Au pied du Dôme on enchaîne dans la fournaise du Glacier Blanc où le risque de chute dans les crevasses s’intensifie avec la chaleur. Une fois arrivé au premier refuge, on se déséquipe, on s’alimente avant d’entamer la dernière descente… Ca me fait du bien de sentir mes jambes se dérouler, pouvoir marcher, aller vite ! Quel bonheur !
La montagne a toujours représenté pour moi un lieu de paradoxe, un lieu de rencontre des contraires, d’où mon attirance pour elle car quelque part je m’y retrouvais. Mais cette semaine je découvrais une facette nouvelle de la montagne, et toute aussi paradoxale. Celle qui t’engage dans l’incertitude mais exige de toi l’absence de doute tant qu’aux décisions à prendre. Celle qui t’effraie mais t’apaise toujours. Celle qui célèbre la vie alors qu’elle la menace sans cesse. Celle à l’origine de tant d’autres dilemmes qui s’offrent ainsi aux impétueux marcheurs.
En fin de compte, on évolue en montagne comme on évolue dans la vie, en veillant à ce que la liberté de l’un n’empiète pas sur celle de l’autre. En se tenant prêt à lui faire la trace la plus sûre, lui attraper un bout de corde quand il est en difficulté, se fondre et s’accrocher à lui, le soutenir quand il peine à suivre… tout en acceptant le fait de le laisser libre un jour de prendre sa propre voie, de le laisser prendre les devants quand il s’en sent prêt…
La corde représente toute la confiance que l’on accorde à l’autre : celle qui doit t’arracher aux mauvais aléas de la vie et celle qui te convainque de devenir cette personne que tu désires être.