Col de la Vanoise (2517 m)
Distance : 30 km / Dénivelé : 1200 m / Durée : 8 h














Ouréa
A l’instant où le jour est nuit et la nuit jour, tes courbes revêtissent cette capiteuse douceur de l’aurore. Dans l’horizon tous tes reliefs surgissent, se dévoilent, s’élèvent, par-delà la nuit, et demeurent, avec zèle, à cette place d’antan. Mon cœur est touché par cette candide, enfantine et exacte reconstitution, immuable et perpétuelle, d’une terre, née d’une nuit au-delà des âges. En cette douce et tendre rosée du matin, la montagne me dispense ses trésors.
En ce début d’automne, à l’heure des premières neiges, à l’heure du grand festival des couleurs, je goûte à l’arôme délicat de cette nature qui s’éveille sous mes pas. Dans la courbure du sentier, la flore se métamorphose, le torrent chante, mes foulées enlacent et embrassent tes flancs. Je note cette suspension singulière du temps, je m’y dissous, je m’y vaporise, je m’y libère. Les conifères et les mélèzes semblent planer sur ce silence, sans retenue. Tandis que je foule ce chemin de traverse dans le rythme effréné de ma vie, je songe au passé, je transforme les regrets en remords, les remords en regrets, je contredis et conforte mon existence. Là où je foule la terre, je défoule mon esprit.
Prostrées et muettes, mes pensées ne trouvent soudainement plus d’écho devant le scintillement irréel de ton heaume blanchâtre et oxydé qui se dresse seul parmi les cieux. Tu me rappelles, ainsi, qu’aussi grand, qu’aussi puissant que nous puissions l’être, on n’échappe jamais au temps et ironiquement tu m’engages à me souvenir de la pendule de Baudelaire qui sonnant minuit nous rappelle l’usage que nous fîmes du jour qui s’enfuit.
Aussi loin que mon œil porte, les lacs - vestiges antiques des larmes d’Ouréa - réfléchissent, avec indifférence, toute la beauté qui les entoure, on croit admirer une mosaïque de mers en pierres et là où les arbres s’épuisent, puis l’herbe, naît cette minéralité singulière, cette nudité stérile, sobre et sauvage. En cette forêt de cairns, les durs alignements à l’équerre de ces élévations de pierres, revêches et mornes, drapent sur ce paysage lunaire un surcroît de contemplation, délicate invitation à l’onirisme. J’admire, en perspective cavalière, des millénaires d’érosion qui s’étaient relayés pour effacer, gommer, égaliser, dans l’anonymat de l’humanité, ta peau rocailleuse, sculptant là le lieu du parfait effacement de soi. Dans cette pauvreté absolue, tu me dispenses une richesse ineffable : une humilité heureuse devant le monde.
Nul n’aura si chaudement découvert et aimé la lumière des jours, la mélodie des silences, la douceur des choses simples, l’ivresse d’Ouréa.